Annulation de la reconstitution de la bataille des plaines : La seconde défaite de Québec
En principe, lorsqu’un régiment sur le champ de bataille encaisse le choc du premier assaut ennemi, il lui est impératif, sous la conduite d’officiers compétents et qui n’ont pas froid aux yeux, de resserrer les rangs, rétablir une ligne de feu et attendre l’assaut suivant. Du moins, telle est la conduite à adopter lorsque ledit régiment adopte une posture défensive, selon les circonstances. Le 13 septembre 1759, après avoir subi la volée des balles britanniques, l’armée française n’a pas su se ressaisir et une retraite frôlant la déroute s’ensuivit. À la limite, nous pouvons excuser le comportement de cette armée française professionnelle qui faisait face à l’une des meilleures armées au monde de l’époque, une armée composée de régiments bien entraînés et disciplinés.
Par Dr. Carl Pépin, historien
Près de 250 ans plus tard, soit le 17 février, nous assistons à une seconde défaite sur ce champ de bataille terrible qu’est l’Histoire, dans des circonstances pathétiques où les mots « Gloire », « Honneur » et « Dignité » ont être rayés de nos dictionnaires. En effet, la Commission des Champs de bataille nationaux (CCBN), par la voix de son président André Juneau, annonce à la population que la reconstitution de la bataille des Plaines est annulée. En d’autres termes, invoquant le prétexte de la « sécurité », la CCBN s’écrase devant une poignée de militants qui, certes, ont le droit d’exprimer leurs opinions, mais qui ont finalement réussi à imposer leur agenda à toute une population pourtant friande d’histoire.
À l’instar de l’armée française de 1759, la CCBN n’a pas su resserrer ses rangs, n’a pas été apte à livrer bataille et à saisir l’initiative. Peut-être que la mission était impossible à réaliser. La poignée de militants de certaines organisations, qui étaient jusque-là discrets (et en quête de crises pour justifier leurs salaires), aura finalement eu raison de ce géant bureaucratique, lourd et inflexible que soit la CCBN.
Les justifications pitoyables de son président pour expliquer l’annulation de l’événement sont la conséquence d’un problème bien simple : la mauvaise mise en marché initiale du produit. Au-delà d‘organiser des événements pour accroître la visibilité du gouvernement fédéral, n’y aurait-il pas eu moyen d’expliquer en termes simples et concis le pourquoi d’une telle reconstitution? Bien sûr que c’est possible, mais rien n’a été fait. C’était un projet improvisé, mal expliqué et les réactions négatives étaient parfaitement prévisibles. Devant une thèse étoffée de solides arguments vérifiables par les sources, le défi de réplique des opposants est tout aussi dur à relever, sauf s’ils utilisent la même méthodologie d’analyse, ce qui au final donnerait lieu à un débat intéressant.
Or, le silence prolongé et injustifié de la CCBN a pavé la voie aux extrémistes et révisionnistes. C’est la victoire de l’ignorance, du repli sur soi et du sectarisme, comme disait récemment le président de notre ancienne mère patrie la France. Rien n’est plus regrettable pour un historien que de voir son travail aliéné par le subjectivisme et la distorsion interprétative des faits, et rien n’est plus regrettable pour un peuple de se voir privé des richesses et valeurs véhiculées par un juste enseignement de son histoire.
De plus, l’argument voulant qu’on ne commémore pas une défaite ne tient pas la route. Les batailles des Plaines d’Abraham et de Sainte-Foy se sont déroulées dans un contexte beaucoup plus large, soit celui de la Guerre de Sept ans (1756-1763) que se livraient entre autres la France et l’Angleterre sur le continent européen. Ce contexte implique des réalités et des décisions de politique étrangère propres aux gouvernements de l’époque. En clair, la France n’a jamais été intéressée par la Nouvelle-France, outre pour quelques richesses passagères. La France a géré sa colonie en nous envoyant ses incompétents les mieux formés, qui ont eu tôt fait de déguerpir sitôt la défaite proclamée. Bien que ce ne fût pas notre guerre, il serait néanmoins important de rendre hommage à nos ancêtres qui ont enduré de telles épreuves.
On ne choisit pas les événements de l’Histoire qui font notre affaire, pas plus qu’il faille les ignorer ou les déformer. Alors que la Guerre de Sécession aux États-Unis (1861-1865), qui a fait plus de 500,000 victimes (morts, maladies, viols, etc.), est parvenue à unir et réconcilier les Américains, notre passé continue de nous déchirer, nous les Québécois francophones.
Dans quelques années, ce sera le 250e anniversaire du passage des troupes de Benedict Arnold en Beauce, en 1775. Les Beaucerons de l’époque avaient donné à boire et à manger à des soldats américains affamés et désespérés, qui s’en allaient attaquer notre capitale défendue par les troupes britanniques. Que diront alors les révisionnistes de l’Histoire, que nos ancêtres ont fourni de l’aide humanitaire ou qu’ils étaient des « collabos »?
Somme toute, oublions ce triste incident et repartons sur de nouvelles bases. Comme peuple, il est de notre devoir d’exprimer au monde entier qui nous sommes et à partir de quoi nous avons été forgés. Pour ce faire, lisez les livres rédigés par les historiens, intéressez-vous à ce que vos enfants apprennent dans leurs cours d’histoire, etc. C’est chacun de nous qui en sortira gagnant, et non défait.
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