Chacun son médecin, oubliez ça
Pier Dutil
Depuis le début des années 2000, tous les partis politiques qui ont dirigé le Québec, libéraux, péquistes et caquistes, ont promis que chaque Québécoise et Québécois pourrait compter sur un médecin de famille au cours de leurs mandats.
Ni l’un, ni l’autre n’est parvenu à respecter cette promesse. Est-il encore logique d’y croire? Je n’y crois plus et je vous explique pourquoi.
Patients orphelins
Le 8 novembre dernier, dans un article de La Presse+, la journaliste Fanny Lévesque dressait le portrait de la situation des patients québécois comptant ou non sur les services d’un médecin de famille.
6 060 717 Québécoises et Québécois sont inscrits auprès d’un médecin de famille, 964 045 sont inscrits auprès d’un groupe de médecins, 662 054 sont en attente au Guichet d’Accès et 734 456 sont totalement orphelins.
Encore dernièrement, le ministre de la Santé, Christian Dubé, disait s’engager à ce que «… tous les Québécois aient accès à un professionnel de la santé d’ici l’été 2026.»
Dans l’affirmation du ministre Dubé, il est important de noter que celui-ci ne parle plus d’un «médecin», mais plutôt d’un «professionnel». La nuance est importante. Loin de moi l’idée de mettre en doute la volonté de Christian Dubé de souhaiter un médecin pour chacun de nous, mais je dois avouer que je n’y crois plus.
Permettez-moi de préciser ici que, entre être inscrit auprès d’un médecin et y avoir accès, il y a une marge. Il faut souvent beaucoup de temps pour obtenir un rendez-vous auprès de son médecin. Ce n’est pas pour rien qu’on nous appelle des «patients».
Y a-t-il assez de médecins au Québec?
Pour expliquer ce problème récurrent, certains avancent qu’il n’y a pas suffisamment de médecins au Québec.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS), utilise la mesure suivante pour déterminer la présence du nombre de médecins dans un pays, à savoir, le nombre de médecins par 10 000 habitants, généralistes et spécialistes inclus.
Au Québec, il y a 30 médecins par 10 000 habitants. À savoir si cela est trop ou pas assez, comparons les données québécoises à d’autres. Au Canada, il y a 25 médecins par 10 000 habitants, aux États-Unis, c’est 36 et la moyenne mondiale est de 17,2.
En date du 31 décembre 2023, le Collège des Médecins indique qu’il y a 26 001 médecins inscrits (47 % sont des médecins de famille et 51,4 % sont des spécialistes).
Si l’on se fie à ces statistiques, on ne manque pas de médecins au Québec. Il nous faut donc regarder ailleurs.
Toujours dans La Presse +, cette fois celle du 7 novembre dernier, Paul Journet relevait le cas des médecins qui délaissent le secteur public pour aller pratiquer au privé. Présentement, 775 médecins québécois pratiquent au privé plutôt qu’au public.
En Alberta et en Colombie-Britannique, seulement deux médecins pratiquaient au privé en 2022 et 14 faisaient de même en Ontario. On est loin de la réalité québécoise, n’est-ce pas?
Pour les médecins, il y a des avantages à choisir le privé. On peut choisir ses horaires (pas de soir, de nuit et de fin de semaine). Et, facteur non négligeable, cela est plus payant.
Si je m’interroge sur le transfert du public au privé pour un médecin généraliste, j’avoue comprendre un chirurgien orthopédiste qui, au public, voit son accès aux blocs opératoires parfois limité à une seule journée par semaine. Cette situation est à la fois frustrante pour le spécialiste et pour ses patients.
Chirurgies en attente
Présentement, au Québec, 10 707 patients ayant besoin d’une chirurgie sont sur la liste d’attente depuis plus d’un an. Le ministre Dubé prétend que cette liste sera réduite à 2 500 d’ici le 31 décembre prochain.
Là encore, je n’y crois pas et cela pour une raison purement mathématique. En effet, toujours selon les chiffres officiels du ministère de la Santé, le nombre de patients sur la liste d’attente diminue au rythme de 250 par mois. À ce rythme, il faudra donc 32,8 mois, soit plus de 2 ½ ans pour atteindre la cible de 2 500.
Exiger la pratique au public
Récemment, Christian Dubé a mentionné son intention d’adopter un projet de loi qui obligerait les médecins gradués au Québec à pratiquer un certain nombre d’années au public.
On dit que les coûts de formation d’un médecin dans les universités québécoises, coûts largement défrayés par les fonds publics, s’élèvent à plus de 400 000 $. Je crois qu’il serait normal qu’en retour on exige de ce nouveau médecin qu’il pratique au public pour traiter les contribuables qui ont investi dans sa formation.
Une telle pratique existe déjà dans l’armée canadienne. Dans une chronique publiée dans le Journal de Québec le 5 novembre dernier, Marie-Ève Doyon, une Beauceronne, mentionnait ce qui suit : «L’armée canadienne paie la formation de ses membres en contrepartie d’un certain service de deux mois pour chaque mois d’éducation.»
S’attendre à quoi
Si je ne crois plus à un médecin pour chaque Québécois, je serais disposé à accepter que chaque Québécois soit inscrit auprès d’une clinique où on retrouverait, en plus des médecins, des infirmières praticiennes spécialisées en soins de première ligne (IPSPL).
Ces dernières ont la compétence pour évaluer le niveau de soins dont un patient aurait besoin. Elles-mêmes pourraient prescrire des médicaments et/ou des examens selon la gravité des cas. Et, si la situation du patient nécessite une consultation auprès d’un médecin, elles pourraient alors le référer à un médecin de la clinique. Je n’ai pas besoin de voir absolument un médecin pour me faire prescrire des antibiotiques pour soigner une mauvaise grippe.
En procédant ainsi, on se trouverait à libérer de façon importante l’horaire des médecins qui pourraient se consacrer aux soins des malades.
Si, au cours des récentes décennies, aucun Gouvernement n’est parvenu à solutionner le problème d’accès à un médecin pour chaque Québécois, ce n’est pas en continuant à procéder de la même façon que l’on y parviendra. Sachons faire preuve d’un peu de créativité en utilisant à bon escient toutes les ressources disponibles.
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Pensée de la semaine
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