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Pourrait-on manquer d'électricité?

durée 18h00
10 juin 2024
duréeTemps de lecture 4 minutes
Par
Pier Dutil

En présentant son important projet de loi sur l’énergie jeudi dernier, le ministre Pierre Fitzgibbon a créé une certaine inquiétude auprès des consommateurs d’électricité résidentiels, commerciaux et industriels.

Même si, présentement, il n’a pas été question de tarification, il faudrait être idiot pour croire que l’on n’assistera pas à une augmentation des tarifs à plus ou moins long terme.

Ce que prévoit la nouvelle loi

La nouvelle loi comporte trois mesures majeures : création d’un fonds d’aide à la clientèle résidentielle, ouverture à la modulation des tarifs en fonction de l’heure de la consommation dès 2026 et l’autorisation pour Hydro-Québec de procéder sans appel d’offres pour exploiter de nouvelles sources d’énergie.

Pourquoi une telle loi présentement? Tout simplement parce que la direction d’Hydro-Québec estime devoir doubler sa production actuelle d’ici 2035 pour répondre aux besoins croissants d’électricité.

Les besoins croissants proviennent principalement des importants contrats d’approvisionnement consentis pour des projets à Boston et à New York, à la forte demande des blocs d’énergie consentis aux entreprises de la filière batterie et à une demande à la hausse reliée à l’augmentation du nombre des véhicules électriques.

Si l’on en croit la direction d’Hydro-Québec, son projet Mission 2035 visant à doubler la production actuelle de 9000 mégawatts nécessitera des investissements de 155 milliards $ (155 G$).

D’un manque à un surplus, à un manque

La position d’Hydro-Québec n’est pas toujours facile à suivre. En effet, en 2000, on disait craindre un manque d’électricité et on avait mis de l’avant le projet d’une centrale thermique au gaz naturel au Suroît. Suite à la levée de boucliers suscitée par ce projet polluant, la centrale au gaz a été abandonnée.

Et, comme par hasard, on n’a pas manqué d’électricité. Même que, quelques années plus tard, on s’est retrouvé avec d’importants surplus dont nous ne savions trop quoi faire.

C’est alors que l’idée d’exporter notre électricité en trop aux États-Unis a vu le jour. Suite à de longues négociations, deux projets d’exportation, l’un dans la région de Boston et l’autre dans la région de New York, ont finalement été signés. Selon Hydro-Québec, ces deux projets contribueront à remplacer des énergies polluantes par de l’énergie propre et, facteur non négligeable, ces contrats devraient être largement rentables. Ces deux projets consommeront 10 % de la production globale actuelle.

Après un possible manque suivi d’un important surplus, voilà que l’on se retrouve avec un manque réel. Plusieurs projets industriels québécois ne peuvent voir le jour présentement parce que l’on ne peut leur garantir un approvisionnement fiable en électricité.

Si on en est rendu là, je me questionne à savoir pourquoi vendre tant d’électricité aux États-Unis alors que l’on n’est pas en mesure de combler nos besoins au Québec? 

La mission de Hydro-Québec

Je me permets ici un retour dans le temps. Hydro-Québec a été créé le 14 avril 1944 par le Gouvernement libéral d’Adélard Godbout. À cette époque, Hydro-Québec ne desservait qu’une partie du Québec, soit la région de Montréal.

En 1962, sous le Gouvernement libéral de Jean Lesage, son ministre des Ressources hydrauliques et des Travaux publics, René Lévesque, présente un projet de nationalisation de l’électricité consistant en un rachat des 11 compagnies privées qui fournissent l’électricité aux Québécois. Il est important de noter que la fiabilité du service et ses coûts élevés pour les consommateurs laissaient souvent à désirer.

Le projet fait l’objet d’une élection le 11 novembre 1962 au cours de laquelle le Gouvernement libéral est réélu. Le rachat des 11 compagnies privées au coût de 604 M$ (10,4 G$ en dollars d’aujourd’hui) est complété le 1er mai 1963.

Sur le site internet d’Hydro-Québec, on peut lire que sa mission consiste en ceci : «Nous fournissons une alimentation électrique fiable et des services de grande qualité.»

Toujours sur le même site, il est écrit : «Nous multiplions les efforts pour vous fournir une alimentation électrique fiable et des services adaptés à vos besoins à des prix concurrentiels, tout en vous aidant à faire une utilisation judicieuse de l’énergie.»

Des prix concurrentiels

Lorsque l’on parle de «prix concurrentiels» pour l’électricité au Québec, on se doit d’admettre que nous sommes parmi les utilisateurs au monde qui payons notre électricité le moins cher.

Les Québécoises et les Québécois sont les plus grands consommateurs d’électricité au monde. Mais, au cours des années ’70 et ’80, c’est Hydro-Québec qui nous a incité à utiliser davantage l’électricité, notamment pour chauffer nos résidences. On avait même mis de l’avant de généreux programmes d’assistance financière incitant les propriétaires à remplacer leur mode de chauffage au mazout par un nouveau mode à l’électricité.

Aujourd’hui, on incite fortement les propriétaires de véhicules à passer de l’essence à l’électricité. On souhaite même que, à partir de 2035, il ne se vende plus que des véhicules électriques au Québec.

Si l’on nous incite à chauffer nos maisons à l’électricité et à conduire des véhicules électriques, il ne faudrait pas nous reprocher par la suite de consommer trop d’électricité et d’en profiter pour hausser les tarifs.

On a consenti d’importants tarifs préférentiels à des entreprises qui consomment beaucoup d’électricité comme les alumineries et les nouvelles entreprises de la filière batterie, mais on se prépare à pénaliser les consommateurs résidentiels qui, selon les critères fixés par Hydro-Québec, consomment trop. Pourquoi récompenser les grands consommateurs industriels et punir les grands consommateurs résidentiels? Où est la logique?

Je reconnais que l’on se doit de faire une utilisation raisonnable de nos ressources électriques, mais avant de créer une situation de manque d’électricité, Hydro-Québec aurait dû se concentrer sur sa mission d’approvisionner adéquatement le Québec avant de vendre d’importantes quantités de notre ressource aux États-Unis. 

La rentabilité de ces contrats d’exportation pourrait vite être détournée dans les investissements de 155 G$ nécessaires pour la production d’électricité supplémentaire nécessaire.

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Pensée de la semaine

Je dédie la pensée de la semaine aux dirigeants d’Hydro-Québec et les encourage à aller lire cette pensée qui se retrouve sur leur site internet :

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