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Les médecins exagèrent

durée 18h00
3 juin 2024
duréeTemps de lecture 229 minutes
Par
Pier Dutil

Au moment d’écrire ces lignes, les négociations entre le ministère de la Santé et la Fédération des Médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) n’ont toujours pas abouti à une entente.

L’un des éléments majeurs en litige dans le cadre de cette négociation porte sur le renouvellement d’une prime de 120 $ que le Gouvernement québécois versait aux médecins pour la prise en charge d’un nouveau patient à partir du guichet d’accès à la première ligne ou, si vous préférez, le GAP. Cette prime était versée depuis deux ans.

Avoir un médecin de famille

La prime en question a été mise en place afin d’encourager les médecins de famille à augmenter leur nombre de patients à partir de la liste de patients orphelins de médecin. Ces patients orphelins, ils étaient plusieurs centaines de milliers au Québec.

En offrant une prime de 120 $ par nouveau patient aux médecins, le nombre de patients orphelins a diminué de beaucoup. Mais il en reste encore plusieurs, voire même trop.

L’entente en question prenait fin le 31 mai dernier. Les médecins souhaitent son renouvellement, alors que le Gouvernement songeait à l’éliminer totalement ou en partie.

Pourquoi une prime?

En acceptant de prendre à sa charge plus de patients, un médecin s’assure ainsi de voir ses revenus augmenter puisque les médecins au Québec sont rémunérés à l’acte. Plus tu vois de patients, plus tes revenus croissent. C’est facile à comprendre.

Pourquoi faut-il une prime de 120 $ par nouveau patient pour inciter un médecin à prendre en charge plus de patients? La prime est une rémunération spéciale pour permettre à un médecin d’augmenter sa rémunération. 

Dans la vraie vie, on ne reçoit pas une prime de la part de quelqu’un qui nous amène de nouveaux clients. C’est même le contraire qui se produit, alors que la personne qui amène un nouveau client rentable à un fournisseur reçoit souvent une prime pour le récompenser.

Mais, il est vrai qu’en santé au Québec, rien ne se passe comme dans la vraie vie.

Ça me rappelle la prime de 65,95 $ que les médecins spécialistes recevaient il y a quelques années lorsqu’ils devaient revêtir une jaquette avant d’entrer dans la chambre d’un patient contagieux. Pendant ce temps, le personnel infirmier, qui devait revêtir le même type de jaquette plusieurs fois par jour pour visiter le même patient, ne recevait pas un sou de plus. Bel exemple d’une situation deux poids, deux mesures.

Patients pris en otage

Pour protester contre la fin de l’entente et du versement de la prime de 120 $, le nombre de rendez-vous disponibles offerts par les médecins sur le Guichet d’accès à la première ligne (GAP) a fondu comme neige au soleil dans l’espace de quelques semaines.

En date de la semaine du 25 mai dernier, on retrouvait 18 398 rendez-vous disponibles sur le GAP. Comme par hasard, le nombre de rendez-vous disponibles est passé à 5 699 la semaine du 1er juin, à 5 488, la semaine du 8 juin et à seulement 2 602 la semaine du 15 juin. Une diminution de 85,9 % en moins d’un mois.

Que s’est-il donc passé? Est-ce que tous les médecins de famille sont tombés en vacances en même temps? Sont-ils tous devenus eux-mêmes malades. Sont-ils tous partis à un important congrès? Non! 

Même si le Président de leur fédération, le Dr Marc-André Amyot, affirme que les médecins ne sont pas en train de prendre les patients en otage, c’est bel et bien ce qui se produit. En voulant faire pression sur le Gouvernement, les médecins pénalisent les patients québécois qui souffrent déjà trop des difficultés rencontrées pour consulter un médecin de famille.

Biens payés

Je comprends qu’il est légitime de toujours vouloir améliorer son sort, mais les médecins omnipraticiens du Québec ne sont pas à plaindre.

Avec une rémunération moyenne de 331 615 $ en 2022 selon des données fournies par l’Institut canadien d’information sur la santé, les médecins de famille québécois sont parmi les mieux payés au Canada et les médecins canadiens sont parmi les mieux payés au monde. 

En toute honnêteté, je me dois de préciser que cette rémunération n’est pas un revenu net. Il s’agit d’un revenu brut duquel il faut soustraire des frais de bureau (loyer, personnel, fournitures, assurances, etc.).

Malgré ces coûts, admettez avec moi qu’il n’y a pas de quoi me faire verser une petite larme sur le sort des finances de nos médecins. Par contre, je ne me scandalise pas de cette rémunération élevée. Avant leur pratique, les médecins ont poursuivi de longues études universitaires. 

Le serment d’Hippocrate

Avant d’entreprendre leur pratique, les nouveaux médecins se soumettent à une tradition à savoir prêter le serment d’Hippocrate. Hippocrate est un médecin et philosophe grec né vers 460 et mort vers 377 avant J.C. et qui est considéré comme le Père de la médecine.

Le serment d’Hippocrate se lit comme suit : «Au moment d’être admis(e) à exercer la médecine, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité. Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.»

Après avoir lu et relu attentivement le texte de ce serment auquel tous les médecins omnipraticiens du Québec se sont soumis, je me pose la question suivante : «Est-ce que la suspension de 85,9 % des rendez-vous disponibles sur le GAP respecte le serment d’Hippocrate?» Je vous laisse le soin de répondre.

Chose certaine, il ne faudrait pas que le serment d’Hippocrate en vienne à être considéré comme un serment d’hypocrite…

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Pensée de la semaine

Je dédie la pensée de la semaine à tous les médecins omnipraticiens du Québec :

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