Ça bout dans les érablières
Pier Dutil
ÇA BOUT DANS LES ÉRABLIÈRES
Je sais que nous sommes en pleine saison des sucres et qu’il est normal que ça bout dans les érablières. Mais, croyez-moi, ça ne bout pas seulement dans les bouilloires des cabanes à sucre. Ça bout également au sein du regroupement des Producteurs et Productrices acéricoles du Québec (PPAQ).
Ces derniers se débattent comme des diables dans le sirop (une facile) pour obtenir le droit d’entailler plus d’érables sur les terres publiques, propriétés du Gouvernement du Québec. Ce débat implique également les compagnies forestières qui, de leur côté, veulent pouvoir abattre les érables des terres publiques, une fibre fort recherchée pour des besoins commerciaux.
La situation
Dans une fort intéressante chronique publiée par Yves Laprade dans Le Soleil du 25 mars dernier, ce dernier trace un portrait de la situation. Je me permettrai ici d’utiliser certaines des données que l’on retrouve dans la chronique en question.
Le Québec compte 13 300 acériculteurs qui totalisent 52 millions d’entailles. De ce nombre, 80 % se retrouvent dans les forêts privées, alors que les 20 % restant se situent sur les terres publiques. Les acériculteurs voudraient que le nombre d’entailles sur les terres publiques augmente et passe à 30 %.
De leur côté, les compagnies forestières souhaitent avoir accès a encore plus d’espace sur les terres publiques pour y abattre plusieurs essences, dont les érables.
La ministre des Ressources naturelles et des Forêts du Québec, Maïté Blanchette Vézina, promet depuis déjà un certain temps de déposer un plan directeur concernant le développement de l’acériculture en forêt publique. Mais ce foutu plan, il tarde à venir et le puissant lobby des entreprises manufacturières maintient la pression pour accroître ses droits de coupe.
Une ressource naturelle unique
La plupart des pays mettent en place des mesures nombreuses pour protéger leurs ressources naturelles, surtout lorsque ces dernières sont uniques au monde.
Le Québec est le plus important producteur acéricole au monde avec 70 % de la production totale. Et au Québec, c’est en Chaudière-Appalaches, chez nous, où l’on en produit le plus avec 49 % de la production totale.
Le reste de la production mondiale se retrouve dans d’autres provinces canadiennes comme l’Ontario et le Nouveau Brunswick et dans certains états du nord des États-Unis.
Or, la production américaine est menacée par le réchauffement climatique. Des données récentes laissent croire que la production acéricole américaine pourrait disparaître d’ici quelques années. Une telle situation contribuerait à accroître la valeur de la production québécoise.
La demande mondiale pour le sirop d’érable ne cesse d’augmenter ici comme dans plusieurs pays. En 2022, le Québec a exporté pour 594,3 millions de dollars de produits d’érable. Les plus importants importateurs sont les États-Unis avec 62 %, l’Allemagne avec 10 %, la France et le Royaume-Uni avec 5 % chacun, et le Japon et l’Australie avec 4 % chacun.
Si la production américaine diminue et risque même de disparaître, la demande sera encore plus forte pour la production québécoise. Il devient donc important de prévoir une augmentation du nombre d’entailles.
Entailles VS abattage
De son côté, le Conseil québécois de l’industrie forestière (CQIF) a aussi un œil sur le bois des terres publiques. Cette industrie n’est pas négligeable puisqu’elle exporte pour plus de 10 milliards de dollars de bois, toutes essences confondues, un peu partout sur la planète. Et, tel que mentionné précédemment, la fibre d’érable est en demande.
Les dirigeants de l’industrie acéricole rappellent aux dirigeants politiques que pour remplacer un érable abattu, il faut près de 50 ans à un nouvel érable pour atteindre une taille suffisante pour être entaillée.
Pour parodier Guy A. Lepage, la question qui tue peut se formuler ainsi : Est-il plus rentable d’exploiter un érable debout durant 50 ans pour en extraire du sirop et le revendre ou de l’abattre et d’en vendre le bois à une seule reprise?
La réponse à ce dilemme appartient à la Ministre Blanchette Vézina et elle est fort attendue. Pour l’instant, on ne sait trop quand son plan sera rendu public.
Entre-temps, continuons à fréquenter nos cabanes à sucre, à nous régaler de jambon, d’œufs dans le sirop, d’oreilles de crisse et de tire sur la neige et espérons que nos dirigeants politiques sauront protéger une ressource naturelle qui nous est propre et qui se renouvelle à chaque printemps.
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Pensée de la semaine
Je dédie la pensée de la semaine aux intervenants de l’industrie acéricole :
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