Les inégalités de revenus : une menace latente
Pier Dutil
LES INÉGALITÉS DE REVENUS : UNE MENACE LATENTE
Au Canada, au cours des dernières années, les inégalités de revenus entre les plus hauts et les plus bas salariés n’ont cessé de s’accroître. Et avec l’inflation qui contribue à la hausse des prix de l’alimentation, du logement, etc., cette tendance ne laisse pas prévoir une amélioration, du moins à court terme.
DES ÉCARTS INDÉCENTS
Selon les dernières données disponibles, celles de 2021, le revenu moyen des dirigeants des 100 plus importantes entreprises canadiennes a atteint 14,3 millions de dollars (14,3 M$). Cela représente 243 fois le salaire moyen d’un travailleur canadien qui se situe à 58 847 $.
En moins de deux jours, les revenus de ces hauts dirigeants avaient déjà dépassé le salaire annuel moyen d’un travailleur canadien.
Pour justifier de tels revenus, on mentionne que 83 % de ceux-ci sont reliés à la performance de l’entreprise et qu’il ne s’agit pas d’un salaire fixe. C’est vrai.
Mais la performance d’une entreprise n’est pas due uniquement à ses hauts dirigeants. L’ensemble des employés.es, à tous les niveaux, contribue à la performance d’une entreprise. Pourquoi ceux-ci n’en profitent-t-ils pas autant?
Je tiens à préciser que je ne suis pas contre le fait que des gens touchent de gros revenus. Cependant, je me questionne à savoir pourquoi il existe de si grands écarts entre les dirigeants et les travailleurs à la base. D’accord, les hauts dirigeants ont de lourdes responsabilités, mais je ne crois pas que cela justifie un écart de 243 fois.
LE CAS DES BANQUES CANADIENNES
Au Canada, les revenus de chacun des cinq plus hauts dirigeants des six principales banques atteignent des millions de dollars. Je serais curieux de pouvoir comparer ces revenus à ceux des employés.es que l’on côtoie dans les succursales bancaires que nous fréquentons.
Et, comme si cela n’était pas suffisant, ces mêmes grandes banques versent une rémunération de 100 000 $ à 200 000 $ à celles et ceux qui siègent à leurs conseils d’administration. Une telle rémunération, pour un travail à temps partiel, dépasse largement le salaire moyen des employé.es à temps plein de ces mêmes banques. Est-ce normal? Poser la question, c’est y répondre.
Siéger à des conseils d’administration de grandes entreprises canadiennes est devenu tellement payant que de plus en plus d’administrateurs ne font que ça. Si vous possédez des actions de ces entreprises et que vous recevez à chaque année le document de convocation à l’assemblée générale annuelle, vous pouvez prendre connaissance de la liste des administrateurs, de leur profession et de leur rémunération.
À ma grande surprise, je constate que plusieurs membres des conseils d’administration s’affichent comme «administrateurs de sociétés». C’est devenu tellement payant qu’avec deux ou trois c.a., on peut recevoir une rémunération de plusieurs centaines de milliers de dollars.
LES SALAIRES DES HAUTS FONCTIONNAIRES
Dans la Gazette officielle du 13 janvier dernier, le Gouvernement québécois faisait part des augmentations salariales consenties à ses mandarins. Les augmentations en question se situent entre 11,4 % et 20,3 %. Il importe de préciser que ces hauts fonctionnaires jouissaient déjà d’une rémunération variant de 250 000 à 300 000 $ avant augmentation.
Pour justifier ces importantes hausses, on nous explique que le Gouvernement doit verser des salaires concurrentiels avec ceux des entreprises privées, un argument qui se défend.
Au cours des prochains mois, ce même Gouvernement québécois mènera des négociations avec ses employés.es pour le renouvellement des conventions collectives. Le Gouvernement n’a pas encore fait connaître ses offres, mais je doute fort qu’elles varient entre 11% et 20 % comme ce fut le cas pour les hauts fonctionnaires.
Pourtant, nos dirigeants répètent quasi quotidiennement que l’un des grands problèmes en santé et en éducation, pour ne nommer que ces deux secteurs, est le manque d’employés.es. Le manque d’infirmières et d’enseignants est à ce point important qu’il menace la livraison des services de base. J’ai bien hâte de voir quelle hausse de rémunération on va leur offrir.
TAXER LES RICHES
Pour réduire l’important écart entre les revenus des riches et des autres, plusieurs prônent de taxer davantage les plus hauts salariés.
Lors du récent forum économique mondial tenu à Davos en Suisse, Phil White, un multimillionnaire anglais a défilé avec une pancarte sur laquelle on pouvait lire : «Tax the Rich», ce qui se traduit par : «Taxer les riches».
Phil White fait partie d’un organisme anglais nommé «Patriotic Millionnaires», «Millionnaires patriotes» en français. Un organisme du même type existe aux États-Unis. Il a été créé par Abgail Disney, la richissime petite fille du fondateur du Groupe Disney.
Admettez avec moi qu’il est plutôt rare de voir des multimillionnaires suggérer de payer plus d’impôts. On en observe davantage qui tentent de payer moins d’impôts en pratiquement de l’évitement, voire même de l’évasion fiscale en déplaçant leurs fortunes dans des paradis fiscaux.
En faisant mention des inégalités importantes que l’on retrouve au sein de notre société, je n’ai pas pour but de lancer la pierre aux hauts salariés. Je souhaite tout simplement, comme Phil White, plus de justice et d’équité sur le plan économique.
Si les écarts ne cessent de s’accroître entre les plus riches et les bas salariés, il ne faudra pas se surprendre de voir poindre des mouvements radicaux susceptibles de menacer notre société.
En 1970, dans sa chanson «Le Frigidaire», Tex Lecor chantait : «Tant qu’il m’restra quecqu’chose dans l’frigidaire, j’prendrai l’métro, j’fermrai ma gueule pis j’laissrai faire.»
Chers dirigeants, si vous souhaitez que notre société puisse continuer à vivre dans l’harmonie, assurez-vous que vos concitoyens moins fortunés aient toujours quecqu’chose à mettre dans leur frigidaire. Sinon…
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PENSÉE DE LA SEMAINE
Je dédie la pensée de la semaine aux dirigeants du Gouvernement québécois :
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