Où va l’argent?
Pier Dutil
OÙ VA L’ARGENT?
Dans ma chronique du 31 octobre dernier, je traitais des importantes augmentations de prix à l’épicerie. Depuis, la situation ne s’est pas améliorée pour les consommateurs et les prévisions pour 2023 ne sont pas encourageantes.
De leur côté, les détaillants affirment haut et fort qu’ils ne sont pas responsables de ces hausses et que leurs profits n’ont pas augmenté.
Permettez-moi de vous faire part de mon expérience de consommateur.
TOUJOURS PLUS CHER
De semaine en semaine, en faisant mon marché, je suis à même de constater que les prix de nombreuses denrées ne cessent d’augmenter. Depuis le début de l’année, les fruits, les légumes et plusieurs autres items ont vu leurs prix croître de plus de 10 %.
Et, si l’on en croit le «Rapport annuel sur les prix alimentaires» publié lundi dernier par les universités de Guelph en Ontario, Dalhousie en Nouvelle-Écosse et Saskatchewan, les prix pourraient augmenter à nouveau de 5 à 7 % en 2023, ce qui représenterait 1066 $ pour une famille de deux adultes et deux enfants.
Toujours lundi dernier, des dirigeants de Loblaw (Maxi et Provigo) et Empire (Sobeyx, IGA, Tradition et Bonichoix) ont témoigné devant le comité de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes à Ottawa. Ils ont contesté les accusations selon lesquelles ils profitent de la situation actuelle pour augmenter leurs profits.
Le Vice-Président de la vente au détail de Loblaw, Jodat Hussain, déclarait : « Fondamentalement, les prix dans les épiceries ont augmenté parce que le coût des produits que les épiciers achètent auprès des fournisseurs a augmenté.»
Dans son même témoignage, M. Hussain ajoutait que Loblaw repoussait certains fournisseurs lorsque ces derniers veulent augmenter leurs prix. Si je me fie aux augmentations des derniers mois, Loblaw n’a sans doute pas repoussé beaucoup de ses fournisseurs.
BÉNÉFICES EN HAUSSE
Pendant que le haut dirigeant de Loblaw tentait de convaincre les élus à Ottawa et les consommateurs, l’entreprise publiait ses résultats pour le troisième trimestre de 2022, résultats qui faisaient état d’une croissance de 30 % de ses bénéfices. Si Loblaw prétend ne pas profiter de la situation actuelle, comment ses dirigeants expliquent une telle hausse de ses bénéfices?
Il y a quelques mois, les producteurs de porcs du Québec se sont fait imposer une réduction de 40 $ par tête de bête livrée à l’abattoir. Cette réduction a été imposée unilatéralement, sans négociation, sans tenir compte de l’augmentation des coûts de production des éleveurs de porcs. Pourtant, le prix du porc à l’épicerie n’a pas baissé en conséquence et les consommateurs n’en ont pas profité.
Si l’éleveur reçoit moins d’argent, si le détaillant prétend ne pas faire plus de bénéfices et si le consommateur paie de plus en plus cher, on est en droit de se demander où va l’argent. Il y a définitivement quelqu’un quelque part qui s’en met plein les poches.
La situation est devenue à ce point préoccupante que le Bureau de la concurrence du Canada a annoncé en octobre dernier qu’il mettait en place une étude pour déterminer si, oui ou non, les épiciers contribuent à la hausse des prix des denrées alimentaires. Ne vous réjouissez pas trop vite de cette nouvelle, car l’étude durera des mois et l’organisme prévoit publier son rapport en juin 2023. D’ici là le consommateur continuera de payer de plus en plus cher.
Et, si je me fie au travail du Bureau de la concurrence pour la surveillance du prix de l’essence, j’avoue ne pas être très optimiste.
Au cours des dernières années, lors de séjours en Floride en hiver, j’étais toujours surpris de constater qu’à une même intersection de rues où se trouvaient quatre stations-service, pas une n’affichait le même prix pour son essence. Ici, en moins de dix minutes, toutes les stations-service affichent le même prix tout en affirmant ne pas se consulter. Pas de doute, on nous prend pour des valises.
UN EXEMPLE VÉCU
Il y a deux semaines, en faisant mon marché, je me présente chez les Pères Nature et chez IGA Extra. Dans la section poissonnerie, j’y retrouve un présentoir des Pêcheurs du Québec où on offre divers poissons et fruits de mer. Mon attention est attirée par un contenant de morue de 340 grammes qui se détaille 13,49 $ chez les Pères Nature.
Par expérience, je sais qu’un présentoir identique offrant les mêmes produits est également disponible chez IGA Extra et, par souci d’économie, je me dis que le pouvoir d’achat d’IGA et ses centaines de magasins auprès du fournisseur doit lui permettre d’obtenir de meilleurs prix que les Pères Nature avec seulement deux magasins. Ainsi, en toute logique, le prix de ma morue devrait être moins élevé chez IGA.
Quelle ne fut pas ma surprise de constater que le prix de mon contenant de 340 grammes de morue, en provenance du même fournisseur, se vendait 17,49 $ chez IGA Extra, rien de moins que 3,50 $ de plus ou, si vous préférez, 25 %.
Chers dirigeants de chaînes d’épiceries, avec un tel exemple, vous allez avoir beaucoup de difficulté à me convaincre qu’il n’y a pas quelqu’un quelque part dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire qui ne s’en met pas plein les poches.
Malheureusement, c’est toujours le consommateur, en bout de ligne, qui finit par payer la note.
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