Quand la justice dérape
Pier Dutil
QUAND LA JUSTICE DÉRAPE
Les femmes victimes d’agressions sexuelles hésitent souvent à porter plainte, prétendant que la justice ne les prend pas au sérieux et fait souvent preuve de clémence à l’égard des agresseurs.
Récemment, un jugement prononcé par le Juge Matthieu Poliquin de la Cour du Québec suite à une plaidoirie de culpabilité d’un agresseur sexuel, Simon Houle, n’a rien fait pour redonner confiance aux victimes.
LES FAITS
En 2019, alors que Simon Houle est étudiant à l’université, il se rend avec des amis.es dans un bar. Après la soirée, certains membres du groupe se retrouvent à la résidence d’un ami.
Couchée habillée sur un lit de la résidence la victime, dont on doit taire le nom, témoigne s’être endormie avant d’être réveillée par la lumière d’un appareil photo. Elle constate alors qu’elle est en partie dévêtue et que Houle se livre à des attouchements sexuels sur son corps, se permettant même de la pénétrer avec ses doigts. Un peu plus tard, elle apprendra d’un ami que Houle conserve d’elle des photos dans sa plus simple tenue.
Après avoir porté plainte, l’affaire se retrouve devant le tribunal présidé par le Juge Poliquin deux ans plus tard. L’agresseur présumé, Simon Houle, devenu ingénieur depuis, plaide coupable d’accusations de voyeurisme et d’agression sexuelle. Jusque-là, rien de spécial à signaler.
La Couronne réclame une peine de 18 mois d’emprisonnement pour Simon Houle.
LA CLÉMENCE DU JUGE
Au moment de rendre son verdict, le Juge Poliquin, nommé Juge en septembre dernier, soit depuis quelques mois seulement, surprend tout le monde en accordant une absolution conditionnelle à l’accusé. Certaines conditions s’appliquent également comme la perte du permis de conduire, le versement d’un montant de 2 000 $ à une fondation, l’obligation d’effectuer 200 heures de travaux communautaires, le tout accompagné d’une probation de trois ans.
L’absolution conditionnelle surprend tout le monde de la justice et le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) décide de porter la cause en appel.
Mais ce qui rend la sentence très controversée, ce sont les arguments utilisés par le Juge Poliquin pour justifier son verdict. Et pour bien illustrer le pourquoi de la controverse, permettez-moi de citer certains propos que l’on retrouve textuellement dans le jugement.
Parlant de l’accusé, le Juge Poliquin écrit : «Il a généralement démontré être une personne de bonne moralité. De plus, une condamnation aurait à son égard des conséquences particulièrement négatives et disproportionnées alors qu’il pourrait difficilement voyager à l’extérieur du pays, ce qui risquerait possiblement d’entraver sa carrière d’ingénieur.»
Ailleurs dans le jugement, on peut lire également: «Il y a une victime et un seul évènement, lequel se déroule somme toute rapidement.» Le Juge fait également référence au jeune âge de l’agresseur, soit 27 ans au moment de l’agression.
UNE PERSONNE DE BONNE MORALITÉ
Selon le Juge Poliquin, l’agresseur est «une personne de bonne moralité». Un peu plus et le Juge donnait Simon Houle en exemple à la jeunesse. Ce dernier fait tellement preuve d’une bonne moralité que l’on apprend qu’il a déjà été condamné pour alcool au volant. Et, pour couronner le tout, Houle a déjà été impliqué dans un autre cas d’agression en 2015, lequel cas n’avait pas fait l’objet d’une poursuite.
Maintenant, quant à affirmer qu’une condamnation serait susceptible de nuire à la carrière de l’ingénieur, est-ce à dire que, selon votre profession, vous pourriez obtenir une absolution suite à un délit? Si vous êtes soudeur ou plombier, vous ferez de la prison. Mais si vous êtes un professionnel susceptible de voyager à l’extérieur du pays, la justice pourrait être clémente à votre égard.
Toujours suite aux propos du Juge Poliquin qui mentionne que le crime n’a eu lieu qu’une seule fois et qu’il n’a pas duré longtemps, dois-je en conclure que si j’en suis à ma première agression sexuelle et que cette dernière ne dure pas longtemps, cela atténue l’importance de mon crime? Donc, si je prévois agresser une jeune fille pour la première fois, aussi bien me contenter d’une «p’tite vite» et je m’en sortirai sans trop de conséquences.
Enfin, lorsqu’il fait référence au jeune âge de l’agresseur, soit 27 ans, je considère que l’on n’est pas en présence d’un adolescent. À 27 ans, on se doit d’être un adulte responsable de ses actes.
Quelle considération a-t-on pour la victime qui a ressenti des malaises durant plusieurs années, qui a subi des traumatismes nombreux et qui n’a pu retourner au travail avant des mois? Le Juge Poliquin ne semble pas très sympathique à sa cause.
Lors du prononcé de verdicts, on entend souvent des Juges utiliser l’argument à savoir qu’il ne faut pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice. Personnellement, j’estime que je Juge Poliquin en a échappé toute une et je me réjouis de constater que le DPCP a décidé de porter le verdict en appel.
Récemment, le Gouvernement du Québec a choisi de créer un tribunal spécialisé pour traiter les cas de violences sexuelles et conjugales et ainsi redonner confiance aux femmes à l’égard de la justice. J’ose espérer que l’on ne transférera pas le Juge Poliquin à ce nouveau tribunal.
En terminant, je tiens à souligner que l’employeur de Simon Houle a choisi de le congédier.
Visionnez tous les textes d'opinion de Pier Dutil
PENSÉE DE LA SEMAINE
Je dédie la pensée de la semaine aux dirigeants et aux intervenants du système de justice du Québec :
Pour partager votre opinion vous devez être connecté.