Quand l'humour dérape
Anne-Marie Arguin
J’aime bien Mike Ward. J’adorais son personnage de Chabot dans «L’Gros Show». Je suis un fan, j’ai le coffret DVD et je l’ai regardé je ne sais plus combien fois. J’aime ses commentaires dans son émission «Cliptoman». Je l’aimais même dans la douteuse émission «Testostérone» à l’époque de TQS. Bref, il est l’un de mes humoristes favoris et je trouve drôle la majorité de son contenu. Cependant, dans sa cause contre le «petit» Jérémy, j’ai beaucoup de difficulté à prendre sa défense.
Ah cette fameuse liberté d’expression
Si vous avez vu le numéro qui est au cœur du contentieux et que vous êtes relativement ouvert face aux styles d’humour plus grinçants, vous avez possiblement ri, peut-être même beaucoup ri. En tout cas, moi j’ai ri. Pas tellement du contenu du gag qui est poussé à l’extrême, mais je trouve ses variations de tons de voix et sa gestuelle très comiques. Est-ce que je trouve pour autant que ces blagues avaient leur place, spécialement dans le spectacle d’un humoriste populaire? Non.
Pourquoi? Je vous explique.
Mike Ward a l’habitude de se montrer impitoyable et virulent à l’égard d’artistes connus dans plusieurs de ses numéros. Cependant, ces chanteurs, humoristes ou personnalités publiques sont des professionnels qui gagnent bien, très bien leur vie dans l’œil du public, ce qui n’est pas le cas pour le dorénavant grand et adulte Jérémy Gabriel. Souvent même, Ward et ses amis humoristes s’attaquent sans hargne réelle à tour de rôle, en spectacle ou sur les réseaux sociaux, question de se faire une bonne pub mutuellement. La définition de la liberté d’expression dans le dictionnaire est «la possibilité de s’exprimer selon ses propres choix, sans avoir à se référer à une autorité quelconque». La définition de la liberté d’expression selon moi, c’est de pouvoir exprimer son opinion selon ses propres choix certes, mais en se basant sur des faits, des arguments et non sur des affirmations, voire des agressions gratuites. D’autant plus quand la personne visée ne bénéficie pas d’un statut de personnalité connue qui confère un prestige certain en société.
Tout le monde sait que les jeunes peuvent être incroyablement cruels entre eux. La dernière chose qu’on doit leur donner, particulièrement lorsqu’on dispose d’une large tribune et qu’on est populaire comme Mike Ward, c’est des munitions pour rendre les propos de certains encore plus haineux. Quand j’étais au secondaire, je ne me suis pas fait taxer, ni intimider, mais on m’a régulièrement dit que j’avais de grandes oreilles et un gros nez. C’est très mineur, mais ça me faisait quand même mal d’entendre ça. Je suis persuadé que tout comme moi, la plupart des gens ont dû vivre avec quelques insultes, aussi passagères ou peu nombreuses soient-elles. Imaginez-vous maintenant à l’ère des médias sociaux, avec une maladie pour laquelle vous n’êtes nullement responsable, qui confère des traits physiques qu’il est possible de remarquer comme le syndrome de Treacher Collins. Les journées doivent être dures à traverser, les insultes atroces.
La responsabilité individuelle
Dans la vie, il y a des gens qui sont en mesure de voir le deuxième degré lorsqu’il y en a un et de faire la part des choses et d’autres personnes qui en sont tout simplement incapables. Il faut donc penser un minimum à ça avant de parler lorsqu’on sait que ça aura un impact. Dans ce numéro de Mike Ward sur le «petit Jérémy», il n’y a pas vraiment de deuxième sens et croire que tout le monde sera en mesure de faire la part des choses, dont plusieurs adolescents qui ont une maturité inexistante relève de la grande naïveté ou de l’utopie.
Laurent Paquin a écrit un long message pour défendre son ami humoriste sur sa page Facebook. Il prétend que Mike Ward est le meilleur gars au monde. C’est bien possible en effet que ce soit un très bon gars et ce n’est pas ça qui est jugé. Ce qui est remis en question c’est le manque de finesse et la défaillance de jugement qui transpirent d’un numéro de la sorte.
Certaines personnes affirment que Jérémy et ses parents sont opportunistes et souhaitent faire de l’argent ou mousser la carrière du jeune chanteur en revenant contre Mike Ward sur un numéro qui date de 2010. Sérieusement, peu importe le facteur temps, n’agiriez-vous pas de la même façon que lui si vous aviez été la cible de ce numéro.
Le dossier est à suivre, puisque la cause ne sera de retour en cour qu’au mois de février prochain alors que ce sera au tour de Mike Ward de témoigner. Par ailleurs, il s’agit d’un précédent pour une cause de la sorte de se retrouver devant la Commission des droits de la personne. Les cas de diffamation sont généralement traités dans des recours civils. Jérémy Gabriel réclame 80 000$ à Mike Ward pour diffamation et discrimination fondée sur un handicap.
La liberté d’expression n’est pas infinie. Elle vient avec des responsabilités. Tout particulièrement lorsque cette liberté vous permet de gagner votre vie. Mike Ward lui-même dit que si ça le fait rire, il le fait, mais qu’il ne fait rien qui va à l’encontre de ses valeurs. Il faut croire que pour ce numéro, il a accordé plus d’importance à l’intensité de son rire qu’à la force de la voix de la moralité.
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