Étude de l'Université Laval
Hockey junior: comment identifier les «espoirs latents»?
Par La Presse Canadienne
L'évaluation de certaines caractéristiques psychologiques pourrait réduire le risque pour les dépisteurs de laisser filer un jeune joueur de hockey dont le plein talent éclora plus tard, indiquent des travaux réalisés à l'Université Laval.
Les travaux sont menés depuis quelques années par le postdoctorant Daniel Fortin-Guichard en collaboration avec les Remparts de Québec, de la Ligue de hockey junior majeure du Québec. Les données qui viennent d'être publiées portent sur une première cohorte de 95 joueurs à qui les dépisteurs du club se sont intéressés en 2019.
Une centaine de jeunes ont aussi été rencontrés en 2022 et une soixantaine cette année, mais ces données ne font pas partie de la nouvelle étude.
Les jeunes joueurs ont dû répondre à un questionnaire d'autorégulation, une caractéristique qui désigne la capacité à tirer le maximum d'apprentissage des enseignements qui nous sont offerts.
«L'autorégulation est un aspect psychologique de l'adolescence qui a été démontré comme pouvant prédire le succès futur dans le sport», a dit M. Fortin-Guichard.
«C'est la capacité à exercer un contrôle sur nos propres apprentissages. Ce sont des jeunes qui vont avoir tendance à planifier comme il faut, 'monitorer' en temps réel leurs apprentissages, revenir sur leurs apprentissages, faire une auto-évaluation de leurs apprentissages, mettre des efforts dans leurs apprentissages...»
D'autres tests ont mesuré des caractéristiques psychologiques qui influencent les pensées, les émotions et les comportements.
Les chercheurs ont également eu recours à des vidéos pour mesurer la capacité d'anticipation, la prise de décision et le processus attentionnel de chaque participant. À différents moments de l'action, l'image était mise en pause et le participant devait prédire la suite des choses et dire ce qu'il aurait fait en pareille situation.
Pendant le visionnement, un appareil enregistrait les mouvements oculaires des participants, ce qui a fourni des mesures d'attention, d'anticipation et de prise de décision.
«Lorsqu'on combine tout ça ensemble, on se rend compte qu'on est capable de déceler un certain profil psychologique chez les jeunes, que les dépisteurs des Remparts nous ont dit, trois ans plus tard, qu'ils auraient dû repêcher», a dit M. Fortin-Guichard.
En d'autres mots, complète-t-il, trois ans après la cueillette des données, les chercheurs ont redemandé aux dépisteurs des Remparts quels joueurs, après les avoir vus en action pendant trois saisons au niveau junior, ils aimaient avoir (ou auraient aimé avoir) au sein de leur équipe.
Pas parmi l'élite
Des 95 joueurs évalués, 70 ont été repêchés après la deuxième ronde, soit au-delà du 36e rang, ce qui signifie que les recruteurs ne les considéraient pas parmi l'élite de leur cohorte.
Mais trois ans plus tard, les recruteurs ont dit qu'ils sélectionneraient pour leur club 15 de ces 70 joueurs. Pourtant, en 2019, ces joueurs n'ont soit pas été du tout repêchés par les Remparts, soit repêchés tardivement, parce que «leur talent était latent», a expliqué M. Fortin-Guichard.
Les chercheurs ont passé au peigne fin les données psychologiques récoltées de ces 15 joueurs. Ils ont constaté que ces jeunes avaient un score d'autorégulation plus élevé que les autres et que leur stratégie de balayage visuel des images vidéo était plus dynamique.
«Ces jeunes avaient un profil psychologique assez homogène, mais aussi assez différent de celui des joueurs dont les Remparts ne voulaient pas trois ans plus tard», a expliqué le chercheur.
Trente-huit autres des 70 joueurs avaient joué au moins dix matchs dans la ligue trois ans plus tard. Ces joueurs présentaient un profil psychologique similaire à ceux des 15 joueurs qualifiés d'espoirs latents («sleepers», en anglais), notamment en ce qui concerne l'autorégulation et les mouvements des yeux.
Les dépisteurs, a dit M. Fortin-Guichard, sont excellents à identifier quels joueurs sont bons «maintenant», et l'évaluation des capacités techniques et tactiques pèse lourd dans la balance. Mais plus le repêchage progresse, plus les dépisteurs recherchent des joueurs dont la philosophie ou les caractéristiques psychologiques vont correspondre à celles du club.
C'est à ce moment que le modèle qu'il a développé pourrait permettre d'identifier des espoirs potentiels qui, au lieu de glisser jusqu'en huitième ou neuvième ronde, seraient repêchés en sixième.
Portrait global
M. Fortin-Guichard ne voit jamais les jeunes espoirs sur la glace. Le classement qu'il remet aux Remparts est donc purement objectif et se base uniquement sur les caractéristiques psychologiques des joueurs.
Les données dont on dispose actuellement, encore une fois, portent uniquement sur les joueurs qui ont été rencontrés en 2019. Un portrait plus global émergera en 2026-2027, quand les quelque 250 joueurs rencontrés tout au long de l'étude seront âgés de 18 ou 19 ans et auront tous terminé leur carrière dans les rangs juniors.
«Je vais pouvoir donner une réponse beaucoup plus définitive à savoir si les caractéristiques psychologiques telles qu'on les a mesurées permettent d'aider les dépisteurs dans leurs décisions, a dit M. Fortin-Guichard. Est-ce que les dépisteurs devraient se servir de nos classements pour prendre des décisions sur qui est un 'sleeper'? Pour le moment, je vais rester prudent et dire 'oui' à 6 sur 10.»
Compte tenu de la confidentialité qui entoure la participation à une étude scientifique, impossible pour le moment de savoir si un joueur identifié grâce au système de M. Fortin-Guichard fait partie de l'alignement actuel des Remparts ou, encore mieux, a contribué à leur récente conquête de la Coupe Memorial.
La grande question, évidemment, est de savoir si le même système pourrait être utilisé par les clubs de la Ligue nationale de hockey pour repérer le prochain Martin Saint-Louis ou le prochain Jonathan Marchessault, deux vedettes qui n'ont jamais été repêchées.
L'étude a porté sur des jeunes de 15 ans, a rappelé M. Fortin-Guichard. Il est donc impossible de dire si les prédicteurs qui ont été identifiés, comme l'autorégulation ou le mouvement des yeux, s'appliquent aussi à des jeunes de 17 ans, d'autant plus qu'on sait que l'autorégulation a tendance à se stabiliser en vieillissant.
On pourrait par contre recommencer l'étude à l'année zéro avec ces joueurs plus vieux et voir si, au fil des cinq prochaines années, de nouveaux prédicteurs émergent pour identifier ceux qui joueront dans la LNH à 23, 24 ou 25 ans.
«Ce n'est pas du tout la même prédiction de rencontrer un joueur de 15 ans pour voir s'il va jouer à 17 ans, que de rencontrer un joueur de 17 ans pour voir s'il va jouer à 25 ou 26 ans», a conclu M. Fortin-Guichard.
Les conclusions de cette étude ont été publiées par le Journal of Sports Science.
Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne
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