Lettre ouverte
La débâcle du patrimoine beauceron
Par Salle des nouvelles
Nous publions ici la lettre ouverte écrite par Sophie Quirion, une Beauceronne et candidate à la maîtrise en histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal.
En décembre 2022, la municipalité de Saint-Gédéon-de-Beauce a annoncé à ses citoyens qu’elle ira de l’avant avec la vente du Complexe Saint-Louis, un couvent jonché au milieu du village depuis l’arrivée de la congrégation des Sœurs de la charité de Saint-Louis en 1903. Il y a moins de 10 ans, en 2013, la municipalité a fait l'acquisition du couvent pour y déménager ses locaux et pour offrir des espaces aux organismes du coin. Après s’être endetté de plusieurs centaines de milliers de dollars, d’avoir mis aux normes le bâtiment et d’avoir augmenté à maintes reprises les taxes municipales pour son entretien, la décision de vendre semble contradictoire. Alors que les citoyens de la petite municipalité de 2000 habitants ont accès à même le couvent à une multitude de services comme une bibliothèque, un centre culturel, une salle de spectacle, un CLSC, des cours de francisation et une banque alimentaire, on leur annonce que tous ces efforts seront jetés à la rivière Chaudière emportés soudainement telle la débâcle au printemps, et que peu de solutions de relocalisation semblent possibles, du moins pour les organismes.
La question de la sauvegarde du couvent fait beaucoup parler dans le village depuis le départ des Sœurs ; ses coûts importants en font douter plusieurs alors que son offre de service a de quoi rendre jaloux les villages voisins. En effet, quel autre village de la Beauce a en sa possession un couvent de quatre étages qui permet d’y loger de multiples organismes communautaires essentiels à une population vieillissante et nouvellement immigrante qui ne se déplace pas facilement jusqu’à la prochaine grande ville à 33 kilomètres ?
Le problème entourant l’avenir du Complexe Saint-Louis n’est nul autre que son propriétaire, la municipalité. De prime abord, le rachat d’un tel bâtiment historique par une instance municipale semble prometteur ; les municipalités, conjointement aux municipalités régionales de comté (MRC) ont des pouvoirs au niveau patrimonial qui leur permettent de protéger, citer et demander du financement pour leur patrimoine bâti, notamment quand ce dernier fait état d'exception comme le couvent de Saint-Gédéon. Ses valeurs d’âge, d’architecture, d’histoire et d’usage lui promettent un bon dossier de candidature pour le Répertoire du patrimoine culturel du Québec. Malheureusement, tout le contraire s’est produit. Le couvent ne possède à ce jour aucun statut administratif, c’est-à-dire qu’il n’est pas cité et qu’il ne fait pas partie du Répertoire du patrimoine culturel du Québec ni du Répertoire canadien des lieux patrimoniaux.
Du côté de la municipalité, elle répond que cette absence de statut est due à un manque d’outils tandis que du côté de la MRC Beauce-Sartigan, on semble relancer la balle dans l’autre camp pour éviter de s’en tenir responsable.
L’avenir du couvent et des services offerts est inquiétant ; des citoyens nous apprennent que les terrains autour du bâtiment ont été vendus pour faire place à d’éventuels immeubles à logements et il faut dire que l’immense terrain du couvent est convoité alors qu’il est situé au centre même de la municipalité sur la route principale. Peut-on s'imaginer une destruction complète du bâtiment par des promoteurs voulant morceler le terrain afin d’en revendre les parties ? Ce qui est certain, c’est qu’avec les réparations nécessaires sur l’enveloppe extérieure du bâtiment et l'inaccessibilité actuelle du marché immobilier, il est peu envisageable que le couvent soit racheté et réutilisé par un particulier ou par un organisme.
À l’hiver dernier, alors que le Complexe Saint-Louis a fait l’objet d’étude de mon travail universitaire en patrimoine, j’ai été accueilli par les gens de Saint-Gédéon-de-Beauce comme si j’avais toujours été des leurs. J’étais loin de me douter que la population de ce petit village aux confins de notre pays de l’érable avait tant à cœur le couvent ou les questions financières et sociales l’entourant. Le patrimoine fait réagir, questionner, débattre, mais surtout il fait réfléchir à notre appartenance culturelle et à notre histoire. Bien plus qu’un simple bâtiment, l’ancien couvent est devenu un symbole d’une lutte patrimoniale à bout de souffle contre les propriétaires qui ont toujours le dernier mot, qui malheureusement s'avère trop souvent être celui de la destruction ou de la vente. Ce qui est paradoxal ici, c’est que le propriétaire est une instance publique et qu’après beaucoup d’argent mis à ce projet, aucun effort n’a été fait pour la faire fructifier.
Avec le départ du seul locataire profitable financièrement, le CLSC, on ne semble pas voir d'autres routes possibles.
Les citoyens de Saint-Gédéon-de-Beauce et ceux qui ont à cœur le patrimoine beauceron sont en droit de se demander pourquoi il n’y a pas eu de consultations publiques pour débattre de l’avenir du bâtiment payé en grande partie grâce aux taxes des résidents ?
Même si la lutte semble sans issue, j’encourage les citoyens à se soulever et à faire valoir leur amour pour leurs racines et leurs droits de léguer à leurs enfants un avenir meilleur. J’encourage également les nouveaux arrivants à s’investir dans de telles luttes qui permettent la mise en commun de cultures et des droits. Je lève mon chapeau pour la résilience des organismes culturels et communautaires de l’ancien couvent.
Finalement, si les citoyens sont sans défense contre une municipalité qui semble faire fi de leurs avis , je demande formellement au ministre de la Culture et des Communications, monsieur Mathieu Lacombe, d’utiliser son pouvoir de décret pour sauver une part importante du patrimoine beauceron qu’est l’ancien couvent de Saint-Gédéon-de-Beauce.
3 commentaires
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On peut penser au Manoir Taschereau, au Château Beauce à Sainte-Marie, la Maison Chabot à Vallée-Jonction, on peut même ajouter l’histoire de l’Église Saint-Cœur-de-Marie à Québec, l’Accent d’Amérique.
J’ai déjà écrit un texte à ce propos, en comparaison avec Toronto. J’ajoutais même que l’on pourrait croire que les édifices patrimoniaux seraient plus en sécurité au Centre-Ville de Toronto qu’en Beauce !
Rolland Bouffard
Ci-joint, le lien de l’article du 15 septembre 2020 : https://beaucemagazine.com/2020/09/15/patrimoine-bati-a-toronto-on-a-compris/
À St-Gédéon, un Mcdonald's dans le couvent comme à Freeport.
Le lien: https://www.newsweek.com/inside-mcdonalds-built-1850-mansion-fireplace-freeport-maine-1716152