Le maire François Veilleux parmi les personnes visées
Beauceville: une mauvaise gestion de l'agrandissement du parc industriel, conclut la Commission municipale du Québec
Un rapport accablant de la Direction des enquêtes et des poursuites en intégrité municipale (DEPIM) de la Commission municipale du Québec, rendu public ce matin, conclut à une mauvaise gestion du projet d’agrandissement du parc industriel de la Ville de Beauceville de même qu’à l’illégalité de programmes d’aides financières et des subventions afférentes versées à la Corporation de développement industriel de Beauceville.
En application de l’article 15 de la Loi facilitant la divulgation des actes répréhensibles à l’égard des organismes publics (LFDAROP), la Commission requiert d’être informée des mesures correctrices qui seront mises en place par la Municipalité, indique l'organisme au directeur général de la Ville de Beauceville, Serge Vallée, qui a reçu le rapport.
La CMQ a également désigné Me Denis Michaud, vice-président aux affaires municipales, afin d’assurer le suivi des recommandations qui devront être mises en place d'ici le 1er mai 2023.
Dans le rapport de 14 pages, les trois principales personnes visées par le «manque de diligence», la «mauvaise gestion » et « des actes répréhensibles » pour accélérer la démarche du projet d’agrandissement du parc industriel sont le maire François Veilleux, le directeur général, Serge Vallée, et le directeur de l'urbanisme de l'époque, Richard Longchamps.
Agrandissement du parc industriel
Nous reproduisons ici de larges extraits du rapport d'enquête (en italique):
L’enquête révèle qu’à la suite des inondations printanières de 2019, la Ville a mis en branle un projet d’agrandissement de son parc industriel. (...) Comme plusieurs entreprises exerçant leurs activités dans le secteur inondé ont été relocalisées dans le parc industriel et vu la forte demande provenant d’autres entreprises, les espaces vacants se sont faits rares, et il s’avérait primordial pour la Ville d’offrir une alternative aux entreprises et d’avoir des terrains disponibles pour les accueillir. Dans cet objectif, le 2 décembre 2019, le conseil de ville adopte une résolution demandant à la Municipalité régionale de comté (MRC) de Robert-Cliche (devenue la MRC de Beauce-Centre) de modifier son schéma d’aménagement et de développement, notamment pour lui permettre d’agrandir le périmètre d’urbanisation à des fins industrielles.
Considérant que les terrains concernés par l’agrandissement du parc industriel appartiennent à des tiers et qu’ils sont situés en zone agricole protégée par la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles , en janvier 2020, des représentants de la Ville, dont le maire, sont informés par le consultant des étapes préalables à suivre en vue de leur acquisition:
- Identification d’espaces disponibles hors de la zone agricole;
- Identification des milieux humides et évaluation de leurs répercussions financières; - Présentation au comité consultatif agricole et approbation;
- Demande d’exclusion de la zone agricole à la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ);
- Modification du schéma d’aménagement de la MRC;
- Modification des règlements d’urbanisme;
- Mise en œuvre du projet d’aménagement du parc (lotissement), acquisition des terrains, etc.
Le délai de mise en œuvre du projet est alors estimé à cinq ans, pour une acquisition des terrains à la fin de l’année 2024 ou au début 2025.
Avant d’avoir fait les démarches afin que les terrains convoités puissent éventuellement être utilisés à des fins industrielles, le 22 mars 2021, le conseil de ville, sous la présidence du maire mis en cause, adopte la résolution R-2021-03-6980 autorisant ce dernier, le directeur général ainsi que le directeur de l’urbanisme de l’époque à « contacter, discuter et proposer des projets d’entente aux actuels propriétaires des terrains […] dans le but d’en faire l’acquisition à un juste prix pour la Ville de Beauceville ».
Selon cette résolution, pour que la Ville puisse utiliser les nouveaux terrains convoités à des fins industrielles, une exclusion de la zone agricole, une modification au schéma d’aménagement et de développement de la MRC et une modification aux règlements municipaux étaient requises, mais ces démarches représentaient d’importants délais, alors que la Ville recevait plusieurs demandes pour l’acquisition de terrains dans le parc industriel.
Suivant cette résolution, le maire et l’ancien directeur de l’urbanisme ont entamé des démarches plus intensives en vue de procéder à l’acquisition desdits terrains. Selon la preuve recueillie, l’actuel directeur général, qui était en poste depuis quelques mois à l’époque, n’était pas impliqué de près dans ces démarches.
Cela dit, en dépit des étapes préalables mentionnées précédemment, l’enquête révèle qu’au cours de l’année 2022, la Ville a procédé à l’acquisition de trois des six terrains convoités et signé une promesse d’achat d’un quatrième, le tout pour une dépense totale d’environ 850 000 $.
Qui plus est, de mars à mai 2022, des travaux de déboisement de type coupe à blanc ont été réalisés pour le compte de la Ville sur les terrains concernés. L’enquête démontre que ce déboisement a été effectué sans résolution du conseil et sans caractérisation préalable des milieux déboisés.
En juillet 2022, la Ville mandate une entreprise pour effectuer une caractérisation afin de déterminer si des milieux humides sont présents sur les lots déboisés. Selon l’analyse de l’expert mandaté, il appert qu’une grande majorité du déboisement a été effectué dans de tels milieux. Celle-ci précise en conséquence que d’importantes compensations monétaires pourraient être à payer par la Ville en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement.
En date du présent rapport, les lots déboisés sont toujours inclus dans la zone agricole permanente dans laquelle l’usage industriel n’est pas autorisé. De plus, un des lots déboisés n’a toujours pas été acquis par la Ville.
Sur cette enquête concernant le parc industriel, voici les conclusions de la CMQ:
Au terme de son enquête, la DEPIM conclut que le maire, le directeur général et le directeur de l’urbanisme en place à l’époque des faits enquêtés ont commis des actes répréhensibles à l’égard de la Ville au sens de l’article 4 de la LFDAROP. En effet, l’enquête a révélé que la gestion du projet d’agrandissement du parc industriel, dont le déboisement d’envergure effectué sur plusieurs hectares, a été faite sans respecter les étapes préalables pertinentes recommandées par le consultant.
Cette situation engendre des conséquences majeures pour la Ville, dont de possibles poursuites devant les tribunaux, des sanctions administratives et pénales ainsi qu’une importante dépense de fonds publics pour un projet d’agrandissement du parc industriel qui, au moment où les gestes ont été commis, était loin d’être acquis considérant, entre autres, la nécessité d’une autorisation de la CPTAQ.
Contrat donné sans résolution du conseil de ville
D’emblée, l’enquête révèle que le maire et le directeur de l’urbanisme de l’époque ont été les principaux acteurs des démarches ayant mené à la coupe à blanc des lots visés par l’agrandissement du parc industriel sans être dûment autorisés par une résolution du conseil de ville.
La preuve testimoniale démontre que le directeur général, bien que mal à l’aise avec le rythme de mise en œuvre du projet, ne s’est pas opposé à l’octroi du contrat de déboisement et s’en est remis au directeur de l’urbanisme. La preuve illustre également que des discussions ont pu avoir lieu en comité de travail relativement à l’importance de procéder rapidement au déboisement compte tenu du prix avantageux pour la vente du bois, mais en aucun cas le conseil n’a dûment été saisi des démarches requises préalablement au déboisement des lots convoités ni n’a dûment autorisé les mis en cause à octroyer des contrats de déboisement sur ceux-ci.
Soulignons que les membres du conseil, à l’exception du maire (NDLR: François Veilleux) et d’un autre conseiller (NDLR: Marie-Andrée Giroux), avaient tous été nouvellement élus en novembre 2021, de sorte qu’ils n’étaient pas présents lorsque la résolution du 2 décembre 2019, relative à l’agrandissement du périmètre d’urbanisation à des fins industrielles, a été adoptée.
Manquements à la Loi sur la qualité de l’environnement
Certains des faits rapportés constituent aussi des manquements à la Loi sur la qualité de l’environnement et pourraient entrainer des sanctions. En effet, la DEPIM a été informée que le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, par l’entremise de la Direction régionale du contrôle environnemental de la Chaudière-Appalaches, a été interpellé après avoir reçu des plaintes liées aux travaux de déboisement sur les lots visés par le projet d’agrandissement du parc industriel. Plusieurs inspections ont été effectuées sur les terrains concernés durant l’automne 2022, lesquelles, d’après les informations qui ont été fournies à la DEPIM, ont révélé des manquements à la LQE.
Notamment, il a été constaté que les travaux de déboisement avaient été réalisés en partie dans des milieux humides, et ce, sans avoir été préalablement autorisés en vertu de la LQE12. En fait, aucune demande d’autorisation n’a été déposée au ministère de l’Environnement relativement aux travaux de déboisement. Les mesures prises par le ministère de l’Environnement pour traiter des manquements à la LQE, une loi d’ordre public, sont évaluées en considération de la gravité des conséquences réelles ou appréhendées de ceux-ci sur l’environnement.
En l’espèce, en considérant notamment l’ampleur du déboisement, de même que l’importante superficie concernée, le dossier pourrait mener à une poursuite pénale de même qu’à des ordonnances de remise en état. Soulignons que le ministère de l’Environnement privilégie le recours au système de justice pénale lorsqu’il évalue que les conséquences réelles ou appréhendées d’un manquement sont graves
Mauvaise gestion des fonds publics et manque de diligence
Il est manifeste que le maire et le directeur de l’urbanisme de l’époque avaient été informés par le consultant mandaté par la Ville, en janvier 2020, de la nécessité de procéder d’abord à la caractérisation du milieu visé par le projet d’agrandissement du parc industriel avant d’entreprendre une demande d’exclusion de la zone agricole des lots convoités, de procéder à l’acquisition de ces lots et, de surcroît, de les déboiser à blanc.
De plus, la présence de milieux humides dans le secteur du parc industriel était connue de la Ville, et son directeur de l’urbanisme ne pouvait l’ignorer, entre autres puisqu’une autorisation du ministère de l’Environnement avait été accordée en 2012 dans le contexte où des milieux humides avaient été identifiés sur des terrains se trouvant à proximité de ceux où s’est réalisé le déboisement.
Une étude de caractérisation écologique est particulièrement utile pour déterminer, le cas échéant, la contribution financière qui pourrait être exigée en guise de compensation monétaire pour permettre la réalisation d’un projet entraînant la destruction de milieux humides. Une telle étude aurait permis, dans le cadre du processus d’achat de terrains, de considérer les coûts réels imputables au projet et de connaître les implications sur les plans légal et financier de la présence de milieux hydriques et humides.
En définitive, il appert que, pour accélérer la démarche, les étapes de cheminement du projet d’agrandissement du parc industriel n’ont pas été respectées. Le directeur de l’urbanisme de l’époque a indiqué que l’objectif était d’éviter la surenchère du prix des terrains convoités et de profiter du prix du bois qui était exceptionnellement élevé pour compenser les coûts du projet par les revenus générés par la vente du bois. Lui et le directeur général croyaient alors qu’une résolution du conseil de ville n’était pas nécessaire pour accorder le contrat de déboisement qui pouvait être octroyé par le directeur général en vertu de son pouvoir de dépenser. De plus, ils croyaient que les travaux de déboisement n’étaient pas visés par une autorisation de la Loi sur la qualité de l’environnement.
Or, un des rôles d’un directeur de l’urbanisme consiste à apporter une expertise dans la planification du territoire, entre autres en tenant compte des contraintes du milieu, et de voir à l’application des lois et règlements relatifs à l’aménagement du territoire.
Le directeur général est quant à lui le fonctionnaire principal de la ville. Il a autorité sur tous les autres fonctionnaires et employés de la municipalité, sauf sur le vérificateur général qui relève directement du conseil. Il est responsable de l’administration de la Ville et, à cette fin, planifie, organise, dirige et contrôle les activités de la Ville.
Quant au maire, selon l’article 52 de la Loi sur les cités et villes, il exerce un droit de surveillance et de contrôle sur les fonctionnaires de la Ville et voit, notamment, à ce que les dispositions de la loi et les règlements municipaux soient fidèlement mises à exécution.
Cette mauvaise gestion du dossier, qui implique un manque flagrant de diligence, n’est pas sans conséquence pour la Ville :
- Celle-ci se trouve à avoir engagé des sommes importantes, susceptibles de se chiffrer à environ 850 000 $ si la vente du quatrième terrain se concrétise, et ce, sans savoir si les terrains pourront réellement être utilisés à des fins industrielles.
- Pour aller de l’avant avec le projet d’agrandissement du parc industriel, une demande d’autorisation en bonne et due forme devra être déposée au ministère de l’Environnement. Les contributions financières, qui peuvent être substantielles et qui sont exigées en général lorsque les répercussions d’un projet sur des milieux humides sont irréversibles, comme il en serait nécessairement le cas en l’espèce, n’ont pas été considérées avant de procéder à l’acquisition des terrains. En conséquence, les coûts du projet sont sous-évalués.
- En ce qui a trait à l’exclusion de la zone agricole, celle-ci est loin d’être acquise. En effet, depuis l’entrée en vigueur du projet de loi 103, le 9 décembre 2021, les municipalités locales ne peuvent plus demander elles-mêmes l’exclusion de lots de la zone agricole à la CPTAQ; ce pouvoir est désormais réservé aux MRC. De plus, pour un projet d’infrastructure qui requiert une exclusion de la zone agricole, la MRC doit faire la preuve devant la CPTAQ qu’il n’existe aucun autre espace approprié sur son territoire. Auparavant, cette démonstration était moins contraignante puisqu’elle visait uniquement le territoire de la municipalité locale, soit un territoire beaucoup moins vaste.
- De plus, comme mentionné précédemment, la Ville se trouve à avoir procédé à des travaux majeurs de déboisement sans autorisation préalable du ministère de l’Environnement, en partie sur un terrain dont elle n’est toujours pas propriétaire, ce qui l’expose à des poursuites judiciaires et à des sanctions administratives ou pénales.
- Finalement, considérant que la Ville peine à se relever des inondations de 2019, il est particulièrement préoccupant de ne pas avoir pris les mesures appropriées pour évaluer de manière sérieuse et diligente les conséquences de la destruction éventuelle de milieux humides à des fins industrielles.
Pour la Commission municipale du Québec, le cheminement du projet d’agrandissement du parc industriel de Beauceville est «problématique» alors que d'une part, il est loin d’être acquis que la CPTAQ permettra l’exclusion requise de la zone agricole pour de telles fins et que, d’autre part, sur le plan environnemental, il est permis de douter que ce projet, qui entraînerait des conséquences irréversibles sur des milieux humides, pourra être autorisé dans sa forme actuelle.
Programmes illégaux à la CDIB
Depuis 2016, ce sont plus de 2 millions de dollars qui ont été versés par la Ville à la Corporation de développement industriel (CDIB) dans le cadre des programmes de crédit de taxes et de remboursement des coûts de location. Or, la Direction des enquêtes et des poursuites en intégrité municipale conclut que ces programmes sont illégaux.
En effet, aucune disposition législative n’autorise la Ville à verser des deniers publics à un organisme dont la principale activité est d’accorder des aides financières visant le remboursement de taxes foncières.
L’enquête révèle également que les programmes de crédit de taxes et de remboursement des loyers n’ont pas été adoptés par résolution ni, le cas échéant, par règlement du conseil de ville.
De plus, les sommes accordées annuellement depuis au moins 2016 dépassent largement les seuils d’approbation par les personnes habiles à voter, révèle le rapport.
La Commission a demandé la fin immédiate du programme de subventions pour la construction et la rénovation résidentielles, commerciales et industrielles de même qu’au programme de remboursement du coût de location des nouvelles entreprises et de cesser immédiatement les transferts monétaires afférents à la CDIB.
Le 3 octobre 2022, la Ville de Beauceville a adopté une résolution de ne plus accepter de nouvelles demandes de subvention dans le cadre de ces programmes et une seconde, le 5 décembre dernier, pour mettre fin aux transferts monétaires afférents à la CDIB.
Le directeur général et le maire suppléant de la Ville ont été informés des conclusions et des recommandations contenues dans le présent rapport, auxquelles ils adhèrent. Le maire et le directeur de l’urbanisme de l’époque ont également été informés des recommandations contenues dans le présent rapport. Ils ont eu l’occasion de présenter leurs observations, lesquelles ont été prises en considération dans la rédaction du rapport, signale la CMQ.
Personne à l'Hôtel de Ville de Beauceville n'a retourné les appels logés par EnBeauce.com.
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