Entrevue avec Marie-Ève Morin
Il est temps de passer à autre chose, de se réconcilier avec la vie
Médecin de famille œuvrant en santé mentale et en dépendance depuis bientôt 20 ans, Marie-Ève Morin soulève les impacts néfastes de la pandémie et encourage les gens à bien s’entourer et à s’occuper.
« Selon moi, les dommages collatéraux sont bien pires que les dommages directs de la COVID-19. Il est temps de passer à autre chose, de se réconcilier avec la vie sociale et les loisirs », a souligné la Beauceronne désormais établie à Montréal depuis une vingtaine d’années.
D’après elle, la pandémie de COVID-19 que le monde a traversée durant les deux dernières années a tout transformé. « On nous a demandé de nous isoler les uns des autres pendant deux ans, mais les conséquences de ça ne s’en vont pas avec le virus. C’est même pire. Depuis tout ça les gens ne vont pas bien. »
Ses observations démontrent que les conséquences psychiatriques, psychologiques et de consommation sont terribles. Il y a énormément de gens en arrêt de travail, des gens qui consomment beaucoup et qui ont beaucoup d'anxiété.
C’est pour cette raison qu’elle encourage les gens à se trouver des loisirs, que ce soit de la cuisine, de la danse, des travaux manuels ou du sport. « Il faut se forcer à faire une activité autre que Netflix. » Elle rappelle également l’importance de prendre la lumière du jour au moins une heure par jour.
« Et c’est important plus que jamais d’être entourée, d’avoir des relations sociales. Il ne faut plus s’isoler, je pense que c’est ça qui crée beaucoup d'anxiété, de dépression, de consommation et d'irritabilité aussi. »
En ce sens, elle reproche au gouvernement de ne pas avoir fait de la santé mentale une priorité. « Moi je ne connais personne qui est mort de la COVID-19, mais je connais 12 personnes qui sont décédées de suicide et de surdose. Des membres de ma famille, mon conjoint, des patients. » En effet, alors qu’elle avait obtenu un accord pour subventionner la clinique qu’elle avait avant la pandémie, le gouvernement a finalement refusé de la lui donner en mentionnant que la priorité était la COVID-19 et non la santé mentale. « Ils m’ont répondu par courriel qu’étant donné que la priorité était la COVID-19 et que la santé mentale et la dépendance n'étaient pas une priorité, ils fermaient mon dossier », s’indigne-t-elle.
Un parcours riche
Durant les 20 dernières années, Marie-Ève a occupé plusieurs postes, mais toujours avec la même passion. Bien qu’elle ait changé de lieu de travail à quelques reprises, elle suit certains de ses patients depuis le début.
Elle a d’abord commencé par pratiquer la médecine dans une clinique spécialisée en VIH en 2005 à Montréal. « Là j’ai eu la chance de voir toutes sortes de patients séropositifs, dont des toxicomanes, des personnes qui sortaient de prison, des travailleuses du sexe et aussi des personnes avec des problèmes de santé mentale. »
Par la suite, elle a travaillé dans une clinique spécialisée en dépendance, la clinique du Nouveau départ. « Là je soignais jusqu’à 30 personnes qui étaient hospitalisées dans ce mini hôpital privé. Ils avaient tous des problèmes de santé mentale et de dépendance, c’étaient des gros cas. J’ai appris beaucoup, mais je me suis presque épuisée à coup de 18 heures par jour. J’adorais ça, mais c'était trop. »
C’est à ce moment-là qu’elle a occupé des postes dans les prisons fédérales, et ce, pendant quatre ans. « J’ai travaillé à la prison pour femme de Joliette comme médecin en chef pendant trois ans. Puis, à la prison de Port-Cartier, pour les prédateurs sexuels. C’était vraiment spécial, c’est à haute sécurité, donc les détenus étaient toujours attachés aux mains et aux pieds. Il y avait deux gardiens de sécurité par détenus et il ne fallait pas que deux détenus se croisent, car c'était trop dangereux. Puis en dernier à la prison Leclerc. J’ai adoré travailler dans les prisons ! »
Elle a ensuite intégré une clinique de médecine générale pendant quelque temps, avant de fonder la clinique Opus avec des associés. Cependant, cette façon de faire ne lui convenait pas alors elle a ouvert seule la clinique Caméléon en 2015.
« C’était vraiment génial! Petit, mais très chaleureux. On avait trois médecins, des infirmières. On n'avait aucune subvention pour faire tourner la clinique, c'était très cher. » C’est à ce moment-là qu’elle a entrepris des démarches pour obtenir un soutien financier du gouvernement qui avait été accepté, mais qui lui est finalement passé sous le nez à l’arrivée de la pandémie mondiale de COVID-19. En août 2021, elle a dû fermer les portes de son établissement.
« Ça m'a fait beaucoup de peine. Ça m’a complètement désabusé face au système. Ça marchait bien, les patients appréciaient. »
Elle travaille désormais à la clinique la Licorne, toujours à Montréal. « Il y a beaucoup d’actions. C’est formidable. Et je suis aussi DJ , je mixe dans des festivals, dans des événements. » Une vie bien remplie, mais un rythme qui lui laisse l’opportunité de faire des activités qu’elle apprécie et d’avoir une vie de couple épanouie.
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