Chef d'entreprise beauceron, Édouard Lacroix édifia au siècle dernier un empire industriel au Québec, dans les Maritimes et en Nouvelle-Angleterre. Né en 1889, parti de rien, il est devenu une légende dont toute la Beauce se souvient. Son principal avantage est qu'il était fonceur, honnête et persévérant et savait développer des liens de confiance avec tous les hommes d'affaire qu'il rencontrait. Il savait aussi s'entourer d'hommes fiables. Il a réalisé des exploits exceptionnels au cours de sa carrière d'homme d'affaire, comme le démontrent les nombreux articles qu'on a déjà publiés à son sujet.
Mais c'est probablement en 1925, à l'âge de 36 ans, qu'il a réussi le coup le plus retentissant de sa vie. En effet, voila que s'est présentée de façon tout à fait inattendue une occasion d'affaire unique, comme il n'arrive qu'une fois dans la vie d'un individu. Or Édouard Lacroix était doué d'un sens des affaires exceptionnel, faisant en sorte qu'il savait flairer instantanément si une opportunité était bonne ou non. Il le savait d'instinct, il n'avait pas besoin d'y réfléchir des jours ou des heures, il sautait sur la bonne affaire à la seconde où elle s'offrait.
M. Lacroix faisait régulièrement la tournée de ses différents chantiers. Un jour, le 3 février 1925, alors qu'il est de passage à Keegan dans le Maine, il en profite pour aller chez le barbier. Assis sur la chaise, le barbier lui dit: «Saviez-vous M. Lacroix, qu'il y a une grosse vente ce matin? La St-John Lumber est à vendre...». Ainsi apprit-il que l'une des plus grosses compagnies de sciage aux États-Unis avait fait faillite et qu'elle était en vente à l'encan. soit une vente en justice (photos 1 à 4). Cette compagnie valait au bas mot 700,000$, somme colossale à l'époque.
Un simple coup de fil à un banquier de Skowhegan lui a garanti un prêt immédiat de 200,000$. Il se rendit aussitôt au siège social de la compagnie quelques minutes avant le début des enchères, assis parmi la foule de curieux venus assister à une telle rare liquidation. Seul à lever la main, il proposa 159,000$, soit le quart de la valeur des actifs de l'entreprise, qui lui fut adjugée sur-le-champ. Voyez sa photo (photo 5) quittant l'édifice après la conclusion de cette transaction extraordinaire, il devait jubiler intérieurement. On voit aussi l'attroupement des gens d'affaire sur le perron de l'entreprise après ce dénouement surprenant. Et même les limousines de l'époque stationnées dans la cour (photo 6, 7 et 8, prises par une dame Prévotat).
C'est ainsi qu'il a fait l'acquisition la plus importante de sa carrière: d'énormes bâtiments sur un site de 400 acres, moulins à scie et à bardeau, six bouilloires de 1500 chevaux-vapeur, quatre engins de 1500 c.-v faisant fonctionner les moulins à scie qui avaient une capacité journalière de 250,000 pieds de bois et de 500,00 bardeaux par jour. Et les droits sur le fleuve St-Jean, un barrage de 50,000$ à Long Lake et une foule d'équipements pour le transport du bois, incluant un imposant log hauler à vapeur (photos 1 à 4).
Dès la fin de 1925, la Madawaska Company (le nom de la compagnie d'Édouard Lacroix) y employait 400 travailleurs au moulin, 50 autres dans des bâtiments connexes et plus de 1000 bûcherons dans les forêts. Beaucoup de bois était amené au moulin par la voie fluviale. L'acquisition du moulin de Keegan comprenait le droit de flottaison du bois et de l'utilisation des rives sur la rivière Saint-Jean. À eux seuls, les droits sur la rivière valaient très cher; Lacroix a vendu ces droits à K.C. Irving (du Nouveau-Brunswick) au prix de 250,000$ en 1948. Un succès incroyable.
Photos du fonds Édouard Lacroix à la Société Historique Sartigan. Texte et recherches de Pierre Morin.
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