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Dix ans plus tard

Lac-Mégantic: encore plus de trains qui transportent des matières dangereuses

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18 juin 2023
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Par La Presse Canadienne

Dix ans après la tragédie à Lac-Mégantic, la voie de contournement ferroviaire se fait toujours attendre et dans les derniers mois, le nombre de trains contenant des matières dangereuses qui traversent le centre-ville a augmenté, selon des citoyens inquiets qu’une autre catastrophe se produise.

Lorsqu’on demande à la mairesse de Lac-Mégantic si elle craint qu’un train chargé de matières dangereuses cause un autre drame dans sa municipalité, elle répond sans hésitation par l’affirmative. «Oui, en lettres majuscules et souligné, parce que les convois sont de plus en plus longs» et que les matières dangereuses transportées par les trains «il y en a de plus en plus» et «on le constate de visu», soutient avec inquiétude Julie Morin.

En cas d’incident, les premiers répondants d'une ville peuvent avoir accès rapidement, via une application, à une description précise de la matière contenue dans un wagon et des risques qui y sont associés, mais la mairesse Morin aimerait connaître à l’avance les produits transportés par les trains qui traversent le centre-ville de sa communauté pour mieux planifier des interventions d’urgence.

«On n’a pas d’information, les municipalités ne savent pas à l’avance ce qui passe dans leur ville», explique Julie Morin.

Selon la loi, les compagnies ferroviaires doivent informer les municipalités des matières dangereuses qui circulent sur leur territoire «dans les 30 jours suivant la fin de chaque trimestre».

Transports Canada évoque des raisons de sécurité et de logistique pour expliquer ce fait. 

Celle qui est mairesse de Lac-Mégantic depuis 2017 a toutefois une bonne idée de ce que contenaient les trains qui ont circulé dans les derniers mois au même endroit où le 6 juillet 2013 un convoi de 72 wagons transportant du pétrole brut a déraillé et tué 47 personnes.

«On parle de gaz propane, d'essence automobile, d'acide sulfurique, de chlorate de sodium, de méthacrylate de méthyle, donc toutes des matières extrêmement dangereuses et explosives.»

Ces informations, elle les tient notamment de citoyens comme Robert Bellefleur, qui répertorie la fréquence et la longueur des convois de trains, ainsi que les matières qu’ils transportent.

Lorsque La Presse Canadienne le rencontre, M. Bellefleur grimpe dans un arbre à l’aide d’une échelle pour changer les batteries d’une caméra qu’il a installée pour filmer les convois sur la voie ferrée, près de sa maison.

Les images qu’il enregistre lui permettent d’identifier les «numéros UN», c’est-à-dire les codes à quatre chiffres qui sont être inscrits sur les wagons qui transportent de la marchandise réglementée. 

Il entre ensuite les numéros UN dans une base de données en ligne pour identifier les matières dangereuses.

«Il y un mois j’ai vu 40 citernes qui transportaient du gaz propane une à l’arrière de l‘autre» dans un convoi «d’environ 200 wagons», s’inquiète Robert Bellefleur, qui est porte-parole de la Coalition des citoyens et organismes engagés pour la sécurité ferroviaire de Lac‑Mégantic.

Il explique qu’à l’époque de la tragédie, la longueur des convois ne dépassait pas 100 wagons, mais qu’aujourd’hui, «ce sont des convois monstres» et qu’ils n’ont jamais été aussi nombreux que dans les derniers mois.

«Les ultratrains de 200 wagons et plus, on a commencé à voir ça l’année dernière» et «actuellement, ils passent de façon fréquente», ajoute M. Bellefleur.

Malgré une demande par courriel, le Canadien Pacifique (CP) n'a pas confirmé à La Presse Canadienne si la fréquence des trains qui transportent des matières dangereuses et leur longueur ont augmenté dans les derniers mois.

Dans un échange avec l'agence de presse, une porte-parole du CP a expliqué que «les volumes et les types de trafic ferroviaire à expédier déterminent la fréquence et la longueur des trains» et que celles-ci dépendaient «de l'économie et des besoins des expéditeurs ferroviaires de Lac-Mégantic, de tout le Québec et de toute l'Amérique du Nord».

La plus grande crainte de Robert Bellefleur est qu’un problème mécanique survienne lorsqu’un train descend la pente entre la ville de Nantes et celle de Lac-Mégantic et que «le conducteur ne soit pas en mesure de ralentir le convoi» avant d’arriver au centre-ville, dans la courbe où la tragédie s’est produite il y a dix ans.

La mairesse Morin partage cette crainte. «Plusieurs raisons expliquent le déraillement qui s’est produit à Lac-Mégantic en juillet 2013», a-t-elle rappelé en précisant que «parmi ces éléments, il y a la courbe qui se trouve en bas de la pente, en plein cœur du centre-ville. La pente et la courbe sont des éléments topographiques qui n’existent pas ailleurs

En raison «de la topographie et du traumatisme collectif qu'on a vécu, il faut que la voie de contournement soit faite au plus vite», explique Julie Morin lorsque La Presse Canadienne l’a rencontrée à l’hôtel de ville à la fin du mois de mai.

«Si on est en réunion et que le train passe, je ne peux pas me concentrer et c’est un sentiment qui s’accentue», a ajouté la mairesse.

La voie de la division

Dans la foulée de la catastrophe qui a fauché 47 vies, de nombreux Méganticois se sont opposés au retour du passage de trains contenant des matières dangereuses au centre-ville et rapidement, la construction d’une voie de contournement est devenue la priorité pour le conseil municipal de l’époque, et l'est encore pour celui de l’administration actuelle.

«La seule façon de réduire le risque d’un déraillement, c’est d’éloigner le train du centre-ville», soutient la mairesse.

Mais 10 ans après le drame, la voie de contournement qui devait faire partie du processus de guérison de la communauté n’est toujours pas construite.

«Le ministre Marc Garneau et Justin Trudeau avaient annoncé à l'époque que c’était un projet de rétablissement social et pas seulement une infrastructure ferroviaire. Malheureusement, le gouvernement ne sait pas comment gérer le volet social du projet. Il ne communique pas beaucoup d'informations. Il n’y a pas de prise en charge du dossier de façon à rassurer les populations, à informer plus que moins, à venir s'asseoir dans la cuisine du monde et à comprendre c'est quoi les sensibilités. Ils sont loin de nous et ça, ça crée plus de tension entre les citoyens», explique Julie Morin.

«La tragédie ferroviaire est arrivée le 6 juillet 2013, eux (les compagnies ferroviaires et Transports Canada), ils ont ramassé la ferraille, et recommencé à faire passer des trains, mais nous, 10 ans plus tard, on est encore dans la tragédie, à gérer les tensions sociales et tous les défis économiques et sociaux que ça a apportés», ajoute-t-elle.

Le climat social s’est détérioré et la tension entre citoyens favorables au projet et ceux qui s’y opposent a augmenté «à partir du moment où les citoyens ont reçu les offres d’acquisition du gouvernement du Canada», un processus qui a débuté en 2021. 

Plusieurs des terrains qui sont dans la mire du gouvernement sont situés sur des terres agricoles; d’ailleurs l’Union des producteurs agricoles (UPA) s'oppose au tracé actuel de la voie de contournement.

Les conseils municipaux de Frontenac et de Nantes ont également retiré leur appui au projet.

Lors d’un référendum tenu dans la municipalité voisine de Frontenac en février, les habitants se sont prononcés à 92,5 % contre «le projet de la nouvelle voie de contournement ferroviaire sur le territoire de Frontenac».

Des groupes de citoyens craignent notamment les répercussions de la construction de la voie sur les ressources en eau potable et les zones humides.

Mais Transports Canada fait valoir que le tracé actuel «a été reconnu comme étant le plus avantageux par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement du Québec (BAPE) et comme celui ayant le moins d’impact sur les terres agricoles par la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ)».

Malgré l'opposition de plusieurs groupes, Ottawa n'a pas l'intention de reculer. Mercredi dernier, le gouvernement fédéral a annoncé qu'il procéderait à l'expropriation des propriétaires avec qui il n'a pas été en mesure de s'entendre. 

Ottawa venait à peine d'annoncer que certains citoyens seront expropriés que la Coalition des victimes collatérales (CVC), un des groupes d'opposants, promettait «d'utiliser les avenues juridiques disponibles pour mettre fin au projet».

Les propriétés situées sur le tracé de la voie de contournement appartiennent à 43 propriétaires. Il est prévu que lorsque le processus d’acquisition des terrains sera terminé, l'Office des transports du Canada approuve le projet final, après quoi la construction pourrait débuter.

Pour la mairesse de Lac-Mégantic, «pendant qu’on retarde et que l’on complexifie le projet, on oublie les gens qui attendent la voie de contournement et qui sont en train de perdre espoir, et qui ont peur chaque fois que le train passe».

Espoir et reconstruction

La mairesse Morin fait valoir que la voie de contournement, en plus d'être un projet de guérison sociale, est essentielle au développement économique de la ville de 5800 habitants.

«Il y a des investisseurs qui me disent que tant que le train va passer, ils ne vont pas investir, alors ça freine aussi le développement

Malgré les défis et les efforts de reconstruction du centre-ville qui dureront encore plusieurs années, la mairesse dit avoir toutes les raisons de voir l’avenir d’un bon œil.

«Les gens qui restent ici sont heureux ici et veulent participer à la reconstruction

Elle fait valoir la qualité de vie de sa ville dont la nouvelle vision met l’accent sur le développement durable.

Elle souligne par exemple les 3 000 panneaux solaires installés sur les nouveaux bâtiments du centre-ville qui alimentent en énergie une trentaine de commerces, ou encore les nouvelles pistes cyclables qui longent la rivière.

«On reprend tranquillement, mais sûrement, le territoire, on se le réapproprie et tout ce que je souhaite, c’est que l’on continue sur ce chemin et qu’en cours de route, on n’oublie pas de se soutenir mutuellement et collectivement, car même si ça fait 10 ans, c’est encore une plaie ouverte.»

Stéphane Blais, La Presse Canadienne

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