Trudeau a réussi à incarner l'air du temps, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui

TORONTO — Au début de sa carrière de premier ministre, Justin Trudeau était «cool». L'année qui a suivi son accession au pouvoir, il est apparu dans les pages de «Vogue», sur la couverture d'une bande dessinée Marvel et dans «The Daily Show», discutant avec un Hasan Minhaj en pleine ascension.

Mais la même stratégie qui, selon les experts et les observateurs, l'a mis sous les feux des projecteurs et lui a valu le vote des jeunes en 2015 a peut-être mené à sa perte, surtout lorsque ses rivaux ont adopté son style en ligne.

«Il a créé un mouvement en 2015 et il a réussi à mobiliser beaucoup de jeunes», a souligné Albert Burgesson, qui a siégé au Conseil jeunesse du premier ministre de 2019 à 2021.

«Les mêmes personnes qui réclament aujourd'hui du changement ou qui recherchent un autre leader aujourd'hui – beaucoup de ces jeunes ont commencé à y prêter attention à cause de cela.»

M. Trudeau a annoncé lundi son intention de quitter ses fonctions de premier ministre et de chef du Parti libéral après des semaines de pressions au sein de son parti. Il a dit qu'il démissionnera dès qu'un nouveau chef sera élu.

Et même si le sentiment a changé au fil des ans, M. Burgesson, qui a maintenant 28 ans, croit que M. Trudeau a aidé de nombreux jeunes à se sentir vus et entendus, en partie en créant le conseil de la jeunesse.

À l'époque, a-t-il soutenu, la façon dont les gens parlaient de M. Trudeau était «incroyablement positive».

Les données d'Élections Canada sur les élections de 2015 ont montré que 57 % des électeurs âgés de 18 à 24 ans ont voté, soit une augmentation de 18,3 points de pourcentage par rapport aux près de 39 % enregistrés lors des élections de 2011. Et une recherche menée par Abacus Data après le vote de 2015 a suggéré que les libéraux ont remporté le soutien de 45 % des jeunes électeurs.

Un premier ministre sur Instagram

Mireille Lalancette, professeure en communication politique à l'Université du Québec à Trois-Rivières, a rappelé que M. Trudeau a été le premier chef d'un grand parti au Canada à utiliser Instagram en 2015.

«Les gens utilisaient Twitter, mais Instagram est davantage un média centré sur l'identité et l'image», a-t-elle précisé.

M. Trudeau a utilisé ces images pour projeter une personnalité à la fois jeune et confiante, sensible et réfléchie: un leader digne de respect, a-t-elle expliqué.

«Ce furent ses meilleures années parce que les gens l'encourageaient. Il était également très populaire. Il était aussi capable de tendre la main à la jeune génération», estime Mme Lalancette.

Il était un féministe autoproclamé, un optimiste qui promettait des «voies ensoleillées». Il se présentait comme un père de famille, qui valorisait aussi la réconciliation avec les peuples autochtones, a noté Mme Lalancette.

Une vedette internationale

Il est également devenu célèbre au-delà des frontières du Canada.

Sa séance photo «torride» pour le magazine «Vogue» avec Sophie Grégoire Trudeau a fait des vagues à l’échelle internationale en décembre 2015. Il a fait la couverture de «Rolling Stone» quelques années plus tard. Son image – mais pas sa voix – est même apparue dans «Les Simpson» dans un épisode de 2019, dans lequel Lisa Simpson avait le béguin pour lui.

«Il y a eu un moment où il était vraiment une supernova», a déclaré Alex Marland, professeur de sciences politiques à l’Université Acadia.

«Ici au Canada, nous recevions toutes sortes d’articles de médias qui parlaient de la façon dont il était pourchassé aux Philippines, ou s’il se rendait en Suisse, il y avait des gens qui voulaient le rencontrer.»

M. Marland a mentionné que les Canadiens avaient une sorte de relation parasociale avec Justin Trudeau à cette époque. Il avait grandi sous les yeux du public à cause de son père, l’ancien premier ministre Pierre Eliott Trudeau, donc les gens avaient l’impression de le connaître.

«Ils n’aimaient pas que quelqu’un critique Justin Trudeau, car ils le voyaient presque comme un membre de la famille», a-t-il avancé.

Controverses et promesses non réalisées

Mais selon M. Marland, les choses ont commencé à changer en 2018 lorsque Justin Trudeau et sa famille ont fait un voyage très ridiculisé en Inde. Ils ont été photographiés, à maintes reprises, portant des vêtements plus appropriés pour un mariage que pour une visite d'État.

«Les gens ont commencé à le voir comme un peu un imposteur», a-t-il soutenu.

«Et tout d'un coup, maintenant, pour certaines personnes, ils ont pu s'éloigner de lui donner le bénéfice du doute pour se rendre compte qu'au lieu d'être authentique, il les manipulait, en fait.»

Les politiciens partent rarement sur une note positive, a déclaré M. Marland, mais dans le cas de Justin Trudeau, les hauts étaient plus élevés et les bas plus bas. Son image était devenue si importante, a souligné M. Marland, que lorsqu'elle ne correspondait pas à la réalité, les gens le remarquaient.

«Ce qui s'est accru au fil du temps, c'est le décalage entre la promesse et la réalisation, et c'est un problème fondamental lorsque vous avez affaire à une marque», a-t-il indiqué.

«En tant que marque, Justin Trudeau manquait à beaucoup de promesses parce qu'il créait des attentes et ne les remplissait pas.»

Il a été en proie à une litanie de scandales, de l'affaire SNC-Lavalin qui a provoqué la démission de deux femmes ministres – la ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould et la ministre de la Santé Jane Philpott – à la réapparition de vieilles photos et vidéos de M. Trudeau portant un visage noir et brun.

Bien que les Canadiens aient réélu M. Trudeau en 2019, il était à la tête d'un gouvernement minoritaire. Les libéraux n'ont pas pu regagner la majorité en 2021.

M. Marland a rappelé une célèbre photo de Justin Trudeau avec son premier cabinet, qui était le premier au Canada à atteindre la parité des sexes.

Comparez cela, a-t-il dit, à l'image du premier ministre, debout, seul à un lutrin alors qu'il annonçait sa démission.

«Cela résume en soi ce qui s'est passé», a-t-il conclu.

Nicole Thompson, La Presse Canadienne