Sommet: les pays ne s’entendent pas encore sur la définition du mot «plastique»
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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Le poids des pétrolières est important à Busan en Corée du Sud, où 177 pays entrent dans la dernière étape pour arriver à un traité international juridiquement contraignant contre la pollution plastique. Plusieurs désaccords persistent à ce sommet onusien, où même la définition du mot «plastique» ne fait pas l'unanimité.
Si les pays n’interviennent pas dans le marché, la production mondiale de plastique devrait atteindre 736 millions de tonnes d’ici 2040, soit une augmentation de 70 % par rapport à 2020, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques.
«Nous sommes ici parce que des microplastiques ont été trouvés dans le placenta de femmes en bonne santé, pensez-y un instant, nous sommes en train de mettre au monde une génération qui débute sa vie polluée, avant même de prendre sa première respiration», avait lancé Juan Carlos Monterrey Gomez lors du début des négociations en Corée du Sud cette semaine, en faisant référence à une étude récemment publiée dans le journal Toxicological Sciences.
Juan Carlos Monterrey Gomez est le chef négociateur de la délégation du Panama, un pays qui a proposé, jeudi, que le traité final sur la pollution plastique inclue une limite à la quantité de plastique que les entreprises peuvent produire.
Le texte du Panama a rallié la faveur d’une centaine de pays.
«Cette alliance forte inclut le Canada, l’Union européenne et les pays africains», a indiqué l’environnementaliste Sabaa Khan, directrice générale pour le Québec et l’Atlantique à la Fondation David Suzuki, qui participe aux négociations en tant qu'observatrice officielle.
Mais cette alliance fait face à un groupe minoritaire de pays, des producteurs de pétrole et de plastique, qui comprend la Russie, l'Iran et l’Arabie saoudite.
Pour la délégation de l’Arabie saoudite, l’inclusion d’un plafond à la production de plastique dans le traité est une «ligne rouge» à ne pas franchir.
La délégation russe, de son côté, a déclaré que si le monde prend ce traité au sérieux, les négociateurs doivent se concentrer sur des dispositions acceptables pour toutes les délégations.
Face à l’apparente intransigeance de certains pétro-États, des pays, comme les Fidji, laissent également entendre qu'ils refuseront les concessions.
«Le monde regarde (…) et voit la fracture dans cette salle telle qu’elle est», a déclaré Sivendra Michael, secrétaire permanent des Fidji pour l’environnement et le changement climatique, lors d’une conférence de presse vendredi.
«La fracture est entre ceux, nous tous ici, qui cherchons à protéger les gens et la planète et ceux qui cherchent à protéger les profits dans l’intérêt des industries passées et présentes», a-t-il ajouté.
La délégation des Fidji a déclaré qu’elle ne soutiendrait pas un traité sans une disposition sur les produits chimiques préoccupants.
Les plastiques sont fabriqués à partir de milliers de produits chimiques différents, principalement dérivés de combustibles fossiles, notamment l’éthylène, le styrène, le propylène et le chlorure de vinyle.
Définition du mot plastique
Quand 177 pays négocient, il y a forcément des débats, sur la formulation des phrases, sur l’emploi d’une virgule, mais aussi sur la signification des mots.
L’ébauche de texte mise en ligne vendredi sur le site du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) contient une trentaine d’articles écrits sur une vingtaine de pages et comporte également 127 paires de crochets.
Dans les grands sommets onusiens, les crochets, ou les parenthèses, indiquent les éléments du texte où il n’y a pas de consensus.
Par exemple, dans l’ébauche de texte de vendredi, on pouvait lire ceci, à l’article 2: «Plastique (s) signifie [---]».
Sous les crochets, huit définitions différentes apparaissaient, ce qui veut dire que les pays n’ont pas encore déterminé quelle est la définition du mot plastique.
«On a huit options pour la définition du plastique et cinq options pour la définition de pollution plastique», a souligné Sabaa Khan.
«Quand on regarde les définitions qui sont mises de l’avant, certains pays veulent juste que la pollution réfère au plastique qui existe déjà dans l'environnement et non pas aux émissions qui sont produites tout au long du cycle de vie du plastique», alors que 90 % de l’empreinte carbone du plastique est générée lors de sa production, a-t-elle ajouté.
Les environnementalistes dénoncent le poids de l'industrie
Pour la Fondation David Suzuki, «le respect du droit à un environnement sain et durable doit être placé au premier plan de cet accord».
Il faudrait également que la déclaration finale inclue, selon Mme Khan, des «restrictions sur les produits chimiques préoccupants dans la production de plastique» et une limite à la production mondiale de plastique.
«En ce moment, c'est vraiment l'avidité brutale de l'industrie pétrolière et des pétro-États qui freine le progrès», selon la directrice générale pour le Québec et l’Atlantique à la Fondation David Suzuki.
Les groupes environnementaux dénoncent le poids qu’exerce l’industrie pétrolière à cette réunion, de la même façon qu’ils ont dénoncé leur présence dans les dernières COP sur le climat.
«On n’invite pas de lobbyistes du tabac à une conférence contre le cancer du poumon et, pourtant, le nombre record de lobbyistes des combustibles fossiles et de la pétrochimie à la table des négociations pour un traité sur les plastiques prouve que l’industrie met tout en œuvre pour protéger ses intérêts financiers et maintenir le statu quo», avait dénoncé mercredi Salomé Sané, chargée de campagne Nature, Océans et Plastiques chez Greenpeace Canada.
Vendredi matin, des organisations environnementales ont manifesté avec des pancartes devant le centre de congrès de Busan, exigeant que les négociateurs fassent preuve de courage.
Le sommet doit se terminer dimanche soir ou lundi matin.
La directrice exécutive du Programme des Nations unies pour l’environnement, Inger Andersen, a déclaré qu’il restait encore suffisamment de temps pour parvenir à un accord, «si nous travaillons fort».
Avec des informations de l'Associated Press.
Stéphane Blais, La Presse Canadienne