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Saisir l'occasion de bâtir des logements en pensant aux gens en situation de handicap

durée 16h30
27 décembre 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

7 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

Beau, 5 ans, commence chaque journée porté par l’un de ses parents jusqu’au salon familial, où son fauteuil roulant l’attend dans leur maison de Beamsville, en Ontario.

Ayant reçu un diagnostic d’amyotrophie spinale à 17 mois, Beau est incapable de marcher de manière autonome en raison de la maladie, qui endommage les nerfs et entraîne une faiblesse musculaire grave.

La vie quotidienne de Beau comporte des obstacles auxquels la plupart des gens ne penseraient jamais lorsqu’ils élèvent un enfant, souligne sa mère, Rachel O’Hagan. Les portes de leur maison ne sont pas assez larges pour qu’un fauteuil roulant puisse passer, ce qui signifie que Beau doit être porté d’une pièce à l’autre, y compris la salle de bain.

Il ne peut pas accéder au lavabo pour se laver les mains ou se brosser les dents tout seul, ni atteindre les interrupteurs. En vieillissant, Mme O’Hagan et son mari Bryce savent que ces défis ne feront qu’empirer, surtout lorsqu’il deviendra trop lourd pour eux.

«Ce sont toutes des choses qu’il pourrait absolument faire tout seul si la maison pouvait l’accueillir, avance-t-elle. Il n’aurait pas du tout besoin de notre soutien… Il pourrait se déplacer librement.»

Au milieu d’une crise du logement qui pousse les décideurs politiques et les promoteurs canadiens à se démener pour renforcer l’offre, les personnes handicapées exhortent les dirigeants à intégrer l’accessibilité dans davantage de logements nouvellement construits.

«Cela semble vraiment être une situation impossible pour nous, je ne vais pas mentir, rajoute Mme O’Hagan. Nous voulons que notre fils puisse accéder à tout ce dont il a besoin.»

La situation de Beau reflète la vie de Tracy Odell, une femme de 66 ans vivant à Toronto et née avec la même condition.

En grandissant, Mme Odell a fréquenté ce qui est maintenant connu sous le nom de l’Hôpital de réadaptation pour enfants Holland Bloorview, qu’elle décrit comme «une institution pour enfants» où ils vivent et reçoivent leur éducation.

Mais lorsqu’elle a eu 18 ans et qu’elle a quitté le programme, ses possibilités se sont raréfiées.

«Une maison de retraite était accessible, mais pas les appartements. Les maisons n’étaient pas construites de cette façon. Il fallait chercher spécifiquement un appartement qui n’avait pas d’escalier dans le bâtiment et qui avait un ascenseur, se souvient Mme Odell. En ce qui concerne la conception de l’appartement, il fallait faire avec.»

Des décennies plus tard, Mme Odell est frappée par le peu de changement, qualifiant les options de logement accessibles disponibles au Canada de «déplorables».

Des logements adaptatifs nécessaires

«C’est une question extrêmement urgente, affirme Jutta Treviranus, directrice du Centre de recherche sur la conception inclusive de l’Université OCAD. Il y a une crise du logement pour tout le monde, mais la crise du logement est bien plus intense pour quiconque a besoin d’un logement accessible, car l’offre est exponentiellement plus rare.»

Mme Treviranus ajoute qu’il n’est pas surprenant que le Canada manque de logements pour répondre aux besoins de la communauté des personnes handicapées, compte tenu de la rareté de leur voix lors des prises de décision.

«Un logement accessible est un logement adaptatif. C’est un logement qui offre des choix, explique-t-elle. Il n’existe pas de solution fixe ou d’approche unique et universelle pour assurer l’accessibilité.»

Dans son rapport 2022-2023, la défenseure fédérale du logement, Marie-Josée Houle, a demandé à Ottawa d'«intégrer l’accessibilité dès le départ» dans sa stratégie nationale sur le logement.

Elle a notamment recommandé de s’assurer que tous les nouveaux logements financés par le gouvernement répondent à un critère minimum de «visitabilité», défini comme une entrée de plain-pied, des portes et couloirs plus larges et des toilettes accessibles aux fauteuils roulants à l’étage d’entrée.

Tous les ordres de gouvernement ont un rôle à jouer pour favoriser l’accessibilité des logements, que ce soit par des modifications aux exigences du code du bâtiment ou des incitatifs financiers liés aux subventions, rappelle Stephanie Cadieux, dirigeante principale de l’accessibilité du gouvernement fédéral.

Quand on lui demande si le Canada est à la traîne par rapport à ses pairs à cet égard, Mme Cadieux reconnaît : «Nous ne sommes pas encore en tête. Nous ne construisons pas des logements qui conviennent à tout le monde. Nous les concevons essentiellement en fonction des besoins des personnes valides», déplore-t-elle lors d’une entrevue.

«Il est important que nous commencions par des politiques pour insister sur le fait que nous construisons des logements qui s’adaptent aux besoins changeants des gens au fil du temps. En fin de compte, si nous le faisons, cela garantira que tout le monde pourra vivre où il le souhaite… parce que l’offre de logements existera. Elle n’existe pas actuellement.»

«C’est le moment»

Mme Cadieux affirme qu’il existe une énorme occasion de changer le visage du logement accessible au Canada en ce moment, en particulier avec le gouvernement fédéral qui vise 3,87 millions de nouveaux logements d’ici 2031.

«C’est le moment, indique-t-elle. Il a été prouvé à maintes reprises qu’il est beaucoup plus coûteux de réparer quelque chose après coup en matière d’accessibilité que de le faire dès le début.»

Des études menées par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) appuient cette affirmation. Une comparaison réalisée en 2019 par l’agence nationale du logement a montré qu’il en coûterait entre 185 et 779 % de plus — selon le type de logement — pour rendre accessible une propriété existante à Montréal par rapport à une propriété neuve.

Un rapport antérieur de la SCHL indiquait que la construction d’une nouvelle propriété accessible et adaptable n’entraînait qu’un coût supplémentaire de 6 à 12 % par rapport à la construction standard, selon le modèle et la ville dans laquelle la propriété serait construite.

«Avec le vieillissement de notre population et la demande croissante de logements adaptables et accessibles, il est dans l’intérêt du secteur de l’habitation d’ajuster son offre en conséquence», avance-t-elle.

La société Daniels, un promoteur de la région du Grand Toronto, a répondu à cet appel par le biais de son programme de conception accessible. Dévoilé pour la première fois en 2017, le constructeur a entrepris de créer des maisons conçues de manière accessible pour les personnes utilisant des appareils de mobilité sans frais supplémentaires.

Les unités, disponibles à la location ou à l’achat, présentent des caractéristiques telles que des douches à l’italienne et des balcons coulissants ainsi que des espaces communs accessibles, notamment.

Jusqu’à présent, le promoteur a réalisé 38 logements accessibles. Quelque 124 sont en construction et 36 autres, en phase de conception préalable à la construction.

«Lorsque nous travaillons avec nos entrepreneurs spécialisés et que nous disons : “Cette prise de courant et cet interrupteur devraient être ici plutôt qu’ici”, cela n’entraîne aucun coût. Le coût est très minime dès le début d’un projet si vous envisagez de construire des toilettes dans les logements accessibles qui n’ont pas de baignoire», précise Heela Omarkhail, vice-présidente de l’impact social de Daniels.

«C’est vraiment ce type de caractéristiques et souvent de finitions que nous avons examinées (et nous nous sommes dit) : “OK, si nous pouvons apporter certaines de ces améliorations dès le début… plutôt que d’essayer de les ajouter plus tard, pouvons-nous être plus réactifs aux besoins de la communauté de l’accessibilité ?”»

Mais Mme Omarkhail admet qu’il y a encore beaucoup de travail à faire sur ce front. Selon elle, il y a un écart entre le nombre de logements accessibles disponibles et les besoins des Canadiens — les estimations suggèrent que plus d’un quart d’entre eux vivent avec une forme de handicap.

«Si vous regardez notre marché dans la région du Grand Toronto ou dans l’ensemble du Canada, nous ne construisons pas 15 à 20 % de logements avec des caractéristiques d’accessibilité améliorées», constate-t-elle.

Kate Chung, cofondatrice de l’Accessible Housing Network, craint que «les personnes handicapées soient totalement ignorées» dans le processus.

Cependant, les efforts continus pour augmenter l’offre de logements au Canada pourraient servir de tournant, selon elle.

Des orientations dans le Catalogue

Au début de 2024, le gouvernement fédéral a lancé son programme de Catalogue de conception de logements, une relance d’une initiative de l’après-Seconde Guerre mondiale visant à fournir des conceptions de logements standardisées qui réduisent le temps requis pour la conception, les approbations et la construction.

Un rapport gouvernemental publié cet été indique que les commentaires des parties prenantes ont constamment souligné qu’une plus grande accessibilité doit être une caractéristique essentielle du catalogue.

«Le secteur sans but lucratif et les défenseurs de l’accessibilité ont insisté non seulement sur l’importance des caractéristiques de conception universelle pour répondre aux besoins des Canadiens d’aujourd’hui, mais aussi sur les besoins croissants à mesure que la population du Canada continue de vieillir», peut-on lire dans le rapport.

Mme Chung affirme que cette recommandation, si elle était adoptée avec soin, pourrait orienter la crise du logement au Canada dans la bonne direction.

«Voici une occasion. Vous allez construire tous ces logements et vous avez le contrôle sur leur conception, dit-elle. Vous devez faire en sorte que tout soit de conception universelle, afin que toute personne, quel que soit son âge ou ses capacités, puisse y vivre et puisse continuer à y vivre, même si elle est frappée par un accident vasculaire cérébral ou une crise cardiaque, (la sclérose en plaques), un camion — peu importe ce qui lui arrive, qu’elle se retrouve avec un handicap permanent ou temporaire.»

Aujourd’hui, le bungalow de Toronto où vit Mme Odell est imparfait, mais suffisamment bien pour s’en sortir, selon elle. Il dispose d’une plate-forme élévatrice pour monter le porche avant et entrer dans la maison, ainsi que d’une rampe arrière construite par son mari.

Elle n’a pas d'accès au sous-sol ni de comptoirs réglables de la cuisine pour l’aider à attraper les choses.

Ses portes sont juste assez larges pour passer, bien qu’elles soient marquées d’éraflures en raison des contraintes d’espace pour entrer dans une pièce avec l’aide d’un fauteuil roulant.

Malgré tout, Mme Odell estime avoir de la chance d’être une maison dans la communauté qui n’est pas encombrée par d’autres obstacles.

«Si je cherchais autre chose en ce moment, je pense que ce serait très, très difficile», conclut-elle.

Sammy Hudes, La Presse Canadienne

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