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Procès Rozon: Julie Snyder raconte l'agression sexuelle qu'elle aurait subie en 1991

durée 14h35
19 décembre 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — L’animatrice et productrice Julie Snyder a laborieusement raconté jeudi, la voix brisée par l’émotion et en faisant de nombreuses pauses, l’agression dont elle allègue avoir été victime aux mains du producteur déchu Gilbert Rozon en 1991, à Paris.

Mme Snyder témoigne dans le cadre de la poursuite civile pour agression sexuelle intentée par neuf autres femmes contre l'ex-magnat de l'humour.

Mme Snyder, qui avait 23 ans et animait l’émission Sortir à l’époque, se trouvait à Paris pour couvrir les prestations de Michel Courtemanche et, voulant étirer son séjour pour aller faire du ski avec des amis, elle avait été invitée à rester dans l’appartement de fonction de Juste pour rire puisque son séjour à l’hôtel prenait fin.

Au troisième jour, Gilbert Rozon s’était également présenté à l’appartement et, après avoir discuté avec lui, elle était allée se coucher. Elle dormait profondément lorsqu’elle a été réveillée par une pression derrière elle. «J'ai ouvert les yeux et j'avais une main sur ma poitrine et il y avait comme des coups qui se donnaient dans mon dos. (…) J'ai senti quelque chose à l'intérieur de moi. J'ai senti que mon pyjama était rentré à l'intérieur de moi. J'ai senti la poussée qui se poursuivait», a-t-elle raconté.

Réveillée par une présence

Au départ, elle dit avoir pensé que quelqu'un était entré par effraction «et là, j'ai eu peur d'être poignardée».

«Quand je me suis retournée, j'ai éprouvé un soulagement parce que j'ai vu que c'était pas un criminel avec un couteau, j'ai vu le visage de Gilbert Rozon.» Croyant d’abord qu’il s’était simplement trompé de chambre, elle a rapidement compris que ce n’était pas le cas alors que l’homme était nu devant elle et en érection, selon son témoignage.

«Il avait le regard fou»

«Il était comme en transe. Ce n’était pas la même personne. Il a les yeux exorbités, le regard fou et il ne parle pas. Il fait des sons, mais il ne parle pas. Il est en état de jouissance», a-t-elle décrit.

«Je me suis dit: je ne me ferai pas tuer, mais je vais me faire violer.»

Elle a alors demandé d’aller aux toilettes où elle a élaboré un plan de fuite et, en sortant, a dit à Gilbert Rozon qu’elle allait se faire un café. Elle a plutôt pris sa sacoche et ses chaussures et s’est enfuie.

«J'ai couru ma vie»

«Quand je suis arrivée dans la rue, j'ai couru ma vie, j'ai couru comme je n'ai jamais couru de ma vie», a-t-elle raconté. Constatant qu’il ne la suivait pas, «je me suis dit: "t'es dehors, t'es en sécurité, t'es dehors, pas besoin de courir, t’es sauvée". Il m'a agressée, mais je me suis sauvée du reste.»

Elle s’était alors rendue chez des amis et était ensuite retournée à l’appartement pour récupérer ses bagages plus tard dans la journée, mais n’a pas glissé mot de quoi que ce soit à quiconque. «Je ne l’ai même pas dit à ma mère. Je ne me suis pas confiée à ma mère», a-t-elle reconnu, disant avoir «fermé un tiroir dans ma tête».

Elle ne voulait pas dénoncer Gilbert Rozon, «une des personnes, tous genres confondus, les plus puissantes du Québec», craignant d’être jugée et de nuire à sa carrière.

Ce fameux tiroir dans sa tête, elle l’a rarement rouvert dans les années suivantes. En 1998, elle s’était confiée une première fois à son collègue Louis Noël, un ami en qui elle avait une confiance absolue.

L'absolution de 1998

Puis, après que Gilbert Rozon eut plaidé coupable à une accusation d’agression sexuelle sur une jeune femme de 19 ans au Manoir Rouville-Campbell, en Montérégie, et bénéficié d’une absolution inconditionnelle en 1998, elle avait mangé avec lui, de nouveau à Paris. «Je ne l’ai pas confronté directement, mais je lui ai dit: "Gilbert, tu sais que tu es malade"», l’invitant à aller en thérapie. Gilbert Rozon l'aurait alors remerciée pour ce conseil.

En 2017, lorsque les allégations de plusieurs personnes le visant étaient devenues publiques dans les médias, elle avait finalement décidé de porter plainte au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

«Ferme ta gueule!»

Quand elle l’a vu, aux nouvelles, affirmer: «Je n'ai jamais fait l'amour à quelqu'un si une personne me dit non. Jamais!», elle dit avoir crié: «Ferme ta gueule. Je n’ai jamais pu dire non, je dormais. Quelle extrême indécence après toutes les indécences que tu as faites d’aller dire ça. La moindre des choses, c’est juste de te taire.»

La productrice porte un certain poids de culpabilité, affirmant que sa motivation pour finalement porter plainte remontait aux événements du Manoir Rouville-Campbell. Un article du chroniqueur judiciaire Yves Boisvert, dans lequel il s'interrogeait à l'époque sur ce qui serait arrivé si la jeune croupière du Manoir n'avait pas été la seule à porter plainte, l'avait ébranlée. «Si j’avais levé la main en 1998, peut-être que ça aurait arrêté. (…) Je me suis dit: "je n’ai pas levé la main en 98, mais là je vais y aller".»

La loi du silence

«La loi qui protège le mieux les agresseurs, c’est la loi du silence», a-t-elle fait valoir en fin de témoignage.

La plainte de Julie Snyder ne s’est jamais rendue devant les tribunaux. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), après avoir rencontré 14 présumées victimes, n’avait retenu qu’une seule des plaintes pour laquelle Gilbert Rozon devait être acquitté en décembre 2020.

Un groupe de présumées victimes, qui s’était fait appeler «Les Courageuses», avait tenté de lancer une action collective contre le magnat de l’humour, mais le recours, après avoir été accueilli par la Cour supérieure, a été rejeté par la Cour d’appel. Celle-ci avait plutôt invité les demanderesses à intenter des poursuites individuelles. Neuf d’entre elles sont allées de l’avant.

Julie Snyder ne fait pas partie de ce groupe de neuf plaignantes et son témoignage s’inscrit dans une tentative de leurs avocats d’établir une preuve dite de faits similaires, qui consiste à démontrer que Gilbert Rozon aurait un lourd passé de gestes semblables.

En contrepartie, elle et l'animatrice Pénélope McQuade sont poursuivies en diffamation par Gilbert Rozon qui leur réclame 450 000 $ en lien avec des propos qu'elles ont tenus à son endroit lors de l'émission La semaine des 4 Julie en septembre 2020.

Mme Snyder devait être contre-interrogée en après-midi.

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne

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