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Nouvelle-Écosse: les décès aux urgences atteignent un sommet en six ans

durée 17h31
10 juillet 2024
The Canadian Press, 2024
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par The Canadian Press, 2024

ST. JOHN'S, N.L. — Les médecins du Canada atlantique affirment que trop de lits dans les services d’urgence sont occupés par des personnes n'ayant pas besoin de soins urgents, et que le «blocage des lits» est à l’origine d’un nombre élevé de décès dans les services d’urgence.

Le Dr Mike Howlett, président de l’Association canadienne des médecins d’urgence (ACMU), explique qu’idéalement, les patients devraient être traités au service des urgences, puis déplacés dans un établissement de soins de longue durée ou rentrer chez eux avec des soins à domicile.

Mais cela devient de plus en plus rare, laissant les patients languir aux urgences, où les recherches montrent que leur état de santé est plus susceptible de s'aggraver, voire de causer leur mort.

«Ce dont nous avons vraiment besoin, c’est d’une décision des gouvernements pour que ces patients ne restent pas dans le service (d’urgences) aussi longtemps qu’ils le font, car nous savons que cela tue des gens», a plaidé le Dr Howlett, qui est également professeur associé à l’Université Dalhousie, dans une récente entrevue.

«En ne s’attaquant pas à ce problème, les gouvernements et les gestionnaires contribuent systématiquement à un niveau de service qui garantit pratiquement que les gens connaîtront une situation pire», a-t-il ajouté.

Augmentation alarmante

Les chiffres des autorités sanitaires de la Nouvelle-Écosse montrent que les décès aux urgences ont atteint un sommet en six ans, en 2023, avec 666 décès, contre 558 l’année précédente. Cela représente une augmentation de plus de 19 %.

Le réseau de santé francophone Vitalité du Nouveau-Brunswick a connu une légère augmentation, avec 216 décès l’an dernier comparativement à 208 l’année précédente. Le réseau de santé Horizon de la province n’a pas fourni de chiffres complets pour l’année dernière.

Le nombre de décès aux urgences de l’Île-du-Prince-Édouard a, pour sa part, diminué, passant de 48 en 2022 à 35 en 2023.

Terre-Neuve-et-Labrador a aussi vu une légère diminution de ces décès, passant d’un sommet de 326 en 2022 à 297 en 2023. Le chiffre de l’année dernière est toujours plus élevé que les années précédant et au plus fort de la pandémie de COVID-19.

«Les chiffres sont trop élevés», a commenté le Dr Stephen Major, président de l’Association médicale de Terre-Neuve et du Labrador.

Comme le Dr Howlett et les autres médecins qui ont parlé à La Presse Canadienne, le Dr Major croit que les chiffres nécessitent plus d’analyse et de détails pour donner une image nuancée de ce qui se passe dans les salles d’urgence. Mais il reconnaît qu’ils indiquent qu’il y a des problèmes, notamment en ce qui concerne le blocage des lits.

Environnement dangereux

Le Dr Major est médecin de famille à Saint-Jean et a travaillé dans les salles d’urgence de la province pendant plus de 20 ans avant de prendre une pause l’année dernière.

«Il y avait des moments où il y avait 30 patients admis, et vous pouviez avoir de trois à cinq lits libres pour essayer de faire passer les gens, a-t-il relaté. Nous voyons des patients sur une chaise, dans un coin, vous placez les patients là où vous pouvez les voir, car ils ont besoin de soins.»

Dr Major raconte que les patients arrivent également aux services d’urgence beaucoup plus malades qu’ils ne devraient l’être. Ils n’ont pas de médecin de famille et, par conséquent, leurs maladies n’ont pas été découvertes ni traitées. Il soupçonne que certaines personnes attendent aussi longtemps qu’elles le peuvent avant de composer le 911 ou de se rendre aux urgences, car elles savent qu’elles attendront longtemps, et peut-être pas dans un lit.

Il ajoute que les médecins ressentent souvent un préjudice moral et estiment qu’ils travaillent dans un environnement dangereux pour leurs patients.

«Je devrais être capable de faire mon travail et de fournir aux patients ce dont ils ont besoin. Mais si j’essaie de recevoir des gens dans un couloir, sur une chaise ou dans un placard, pour simplement fournir tous les soins possibles, ce n’est pas raisonnable que nous soyons obligés de fonctionner de cette manière. »

Le Dr Robert Martel, qui a travaillé dans les salles d’urgence de la Nouvelle-Écosse pendant des décennies et voit maintenant des patients occasionnels, a affirmé que traiter des personnes dans les couloirs ou dans les placards est épuisant sur le plan émotionnel pour les médecins d’urgence.

«Je pense que les médecins sont désormais un peu insensibles à cela, parce qu’ils ne voient rien changer», a-t-il déploré lors d’une entrevue.

«Je parlais à une collègue l’autre jour et elle disait : “C’est anxiogène d’entrer dans le département parce que je sais à quoi je vais être confrontée, et c’est tout simplement déchirant. " »

Un effet domino

Matthew Murphy, directeur des données de Nova Scotia Health, a indiqué que les autorités sanitaires travaillent dur pour améliorer le flux de patients dans les services d’urgence de la province.

Ses données concordent avec l’hypothèse des médecins selon laquelle le nombre plus élevé de décès est en partie imputable aux patients qui se présentent aux urgences beaucoup plus malades qu’auparavant. Cela découle d’une pénurie de médecins de famille et de l’état de santé général de la population du Canada atlantique, qui est plus âgée et plus malade que le reste du Canada, a-t-il avancé

M. Murphy n’est cependant pas d’accord avec l’idée selon laquelle les salles d’urgence deviennent moins sûres. Il défend que les autorités ont travaillé dur pour créer plus d’espace dans les services d’urgence afin de réduire le nombre de patients qui finissent par être traités dans les couloirs.

«Nous voulons que les patients soient soignés dans le cadre de soin le plus approprié. De toute évidence, ce n’est pas un couloir ni un placard, a-t-il nuancé. En même temps, mieux vaut se faire soigner dans un couloir que ne pas être soigné du tout.»

Le Dr Howlett a déclaré que les responsables de la santé de toutes les provinces doivent entamer une planification stratégique à long terme pour alléger la pression sur les services d’urgence. Cette planification doit inclure des médecins et d’autres personnes offrant des soins communautaires, comme des services de soutien à domicile.

«Les soins de routine ne sont plus une routine. C’est devenu risqué, a-t-il affirmé. Nous devons commencer à planifier la manière dont nous devrions cartographier nos services et ce qu’il faudra pour les fournir.»

Sarah Smellie, La Presse Canadienne