Les LGBTQ+ au Kenya veulent que les chefs religieux passent d'oppresseurs à alliés
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Par La Presse Canadienne, 2024
KISUMU — Chaque dimanche, dans la ville portuaire de Kisumu, au Kenya, un groupe de prévention du VIH-sida rassemble des dizaines d'hommes gais et bisexuels pour une cérémonie visant à les aider à maintenir leur santé physique et spirituelle.
Debout, en rang, sous un toit en tôle, la cinquantaine d'hommes chantent en swahili et frappent des mains au rythme de la messe. Ils s'assoient sur des chaises en plastique cassées, la plupart d'entre elles superposées par deux ou trois pour assurer un semblant de stabilité.
Un prédicateur demande des intentions de prière. Un homme remercie Dieu de lui avoir trouvé un emploi. Un autre dit que son ami vient de sortir d'une opération chirurgicale après avoir été battu parce qu'il était gai. «Il ne parle toujours pas, alors je sollicite vos prières», dit l'homme.
La Presse Canadienne s'est rendue au Kenya dans le cadre d'une série de reportages d'enquête sur le recul des droits des personnes LGBTQ+ dans le monde et ses conséquences pour le Canada, y compris le rôle de la religion.
L'organisation de soutien Anza Mapema a mis en place une centaine de petites églises en Afrique qui tentent de transformer le rôle de la religion, pour le faire passer d'un outil de répression contre les minorités sexuelles et de genre en une source de force et de résilience.
«Ils prêchent l'amour, ils prêchent que tout le monde est égal aux yeux du Seigneur», a déclaré Duncan Okall, chef d'Anza Mapema.
Les groupes comme le sien comptent sur le soutien de chrétiens progressistes dans des pays comme le Canada pour faire pression en faveur de changements sociaux, ce qui comporte souvent un coût élevé.
Il s'agit d'une bataille difficile dans un pays où les leaders religieux ont une grande influence sur la façon dont les citoyens votent et dont ils perçoivent les questions sociales.
Au Kenya, les prêtres et les imams ont été en première ligne de la campagne pour le projet de loi sur «la protection de la famille», qui réduirait considérablement les droits des minorités sexuelles et de genre.
Le projet de loi a été déposé par le député kényan Peter Kaluma, pour interdire «toutes les activités qui promeuvent l'homosexualité», y compris le port des couleurs de l'arc-en-ciel, a-t-il dit aux médias locaux.
Le projet de loi a attiré l'attention des constitutionnalistes, car il propose des arrestations citoyennes dans les maisons et les hôtels où des «actes homosexuels» seraient commis.
Le député Kaluma a déclaré qu'il ciblait la «perversion LGBTQ+» en défendant les croyances chrétiennes, musulmanes et tribales au Kenya. Il a salué l'élection de Donald Trump aux États-Unis le mois dernier, affirmant qu'il serait maintenant plus facile de faire adopter le projet de loi dans son pays.
Après l'influence coloniale
Godfrey Adera, prêtre et théologien homosexuel de Nairobi, la capitale, a déclaré qu'il s'agissait d'un argument de poids dans un pays qui a passé des décennies à essayer de mettre en échec l'influence coloniale. «Le discours a été que l'identité LGBTQ+ n'est pas africaine», a déclaré M. Adera. «Dans nos espaces, nous voulons dire: 'non, c'est vraiment africain'. Nous le faisons d'un point de vue religieux, mais aussi d'un point de vue culturel africain.»
Chaque semaine, son église interconfessionnelle, appelée «Cosmopolitan Affirming Community», accueille plus d'une centaine de personnes. Ces fidèles célèbrent leur culte avec de la musique traditionnelle et des cérémonies qui intègrent le christianisme aux croyances tribales, comme l'utilisation du chant ou l'importance de sites spécifiques dans la nature.
À Kisumu, un homme d'une quarantaine d'années prénommé George, qui a demandé que son nom de famille ne soit pas publié pour des raisons de sécurité, a déclaré qu'il venait au service d'Anza Mapema pour ressentir un sentiment de communauté.
«Ça nous encourage, ça nous donne de l'espoir dans la vie. Nous sommes motivés lorsque nous venons à l'église ici, car nous avons le sentiment d'être aussi des êtres humains», a-t-il expliqué. «Ici, nous sommes libres. Nous ne sommes pas négligés.»
Le groupe lui a également donné accès à des ressources LGBTQ+, comme des formations sur la façon d’éviter la brutalité. George vient également au service du dimanche pour le carton de lait et les deux petits pains fournis par l’organisation. Cette nourriture est payée grâce à des subventions pour la prévention du VIH-sida, car les médicaments qui suppriment le virus ne fonctionnent que si un patient consomme suffisamment de calories.
Beaucoup de fidèles viennent pour la nourriture – Duncan Okall souligne que c’est parfois la seule nourriture qu’ils auront ce jour-là. D’autres en profitent pour utiliser la douche extérieure.
Certains dorment pendant le service. M. Okall s’en inquiétait auparavant, craignant de distraire les autres participants ou que le programme religieux perde son sens. Mais un pasteur lui a rappelé que le service pourrait être le seul moment où certains hommes se sentent suffisamment en sécurité pour se reposer un peu.
Le programme a survécu grâce à une série de subventions pour la prévention du VIH et à des dons de particuliers en Europe et en Amérique du Nord, en particulier des personnes affiliées à l’Église unie du Canada, connue pour ses congrégations inclusives LGBTQ+.
Jane Thirikwa, qui coordonne le plaidoyer mondial de l’Église unie du Canada pour les personnes LGBTQ+, affirme que ces projets locaux sont essentiels pour inverser l’oppression imposée par la colonisation.
Elle travaille avec la direction centrale de l’Église unie pour faciliter les partenariats entre les groupes chrétiens LGBTQ+ locaux et les dirigeants des églises traditionnelles dans des pays comme le Mozambique, la Colombie et les Philippines.
Dans d’autres pays, comme le Kenya, les collègues de Mme Thirikwa font un travail plus progressif, essayant de convaincre les hauts dirigeants chrétiens de s’exprimer sur la violence contre les personnes LGBTQ+. L’objectif, dit-elle, est de «réduire la menace fondamentaliste et les dommages sociaux créés» par la théologie trop conservatrice.
«C’est ce que nous sommes encouragés à faire, à vivre notre service pastoral dans le monde en étant audacieux et en parlant au nom des personnes qui n’ont pas de voix», a-t-elle déclaré.
Un soutien en santé mentale
Edwin Gumbe, coordinateur des activités d’Anza Mapema, souligne que le service religieux est l’un des programmes les plus difficiles à financer, car il n’a pas de lien direct avec la santé physique ou l’emploi. Pourtant, un «espace spirituel affirmatif» constitue l'un des meilleurs soutiens en matière de santé mentale et un moyen de contrer les discours néfastes, soutient-il.
«Au Kenya, la religion a été utilisée comme un outil oppressif, pour nous faire sentir que notre communauté, qu'être queer, être gai, c'est un péché», explique-t-il.
Le long du littoral kényan de l'océan Indien, où les communautés comptent d'importantes populations musulmanes, les militants LGBTQ+ adoptent une approche différente, en cherchant à s'intégrer dans les mosquées.
Pema Kenya, un groupe LGBTQ+ basé à Mombasa, organise depuis dix ans des ateliers pour présenter les minorités sexuelles et de genre aux imams et aux prédicateurs.
«Au Kenya, la foi et les chefs religieux sont très influents», rappelle Maxine Kidali, responsable du programme d'engagement religieux du groupe. «Le reste de la société suit ce qu'ils font, car ils pensent que les chefs religieux sont des modèles.»
Le groupe a commencé à approcher les religieux par le biais d'ateliers visant à faire de la sensibilisation au VIH. Dans le cadre d’un atelier d’une semaine, les chefs religieux entreprennent des tâches avec des inconnus, dont ils apprennent à la fin de la semaine qu’ils sont finalement LGBTQ+ ou impliqués dans le travail du sexe.
«Ensuite, lorsque ces personnes commencent à raconter leur histoire, cela touche le cœur des chefs religieux, raconte Maxine Kidali. La plupart du temps, les gens regardent un homme gai ou une femme queer et ne pensent qu’au sexe. Il est donc grand temps que nous définissions les gens par ce qu’ils sont, et non par ce qu’ils font dans leur chambre à coucher.»
Maxine Kidali a déclaré que ces ateliers ont conduit à des changements. Des chefs religieux accueillent les personnes LGBTQ+ et les incluent dans les cérémonies, d’autres ont changé leur message dans les sermons, en continuant à qualifier les activités homosexuelles d’abomination, mais en soulignant que les personnes LGBTQ+ ne devraient pas être attaquées ou ostracisées.
Les musulmans
Maxine Kidali soutient que ces ateliers ont ainsi atténué ce qui était une augmentation annuelle des crimes haineux pendant le ramadan.
«L’engagement des chefs religieux a changé un peu le discours et les attitudes des gens. Ils ne seront peut-être pas solidaires, mais au moins ils ne feront pas de mal.»
L'organisme Pema Kenya organise également des prières hebdomadaires pour les musulmans LGBTQ+, bien que l'objectif du groupe soit d'intégrer ces minorités dans les congrégations religieuses traditionnelles par le biais du dialogue.
«Nous devenons très amers en grandissant», a déclaré Maxine Kidali, qui s'identifie comme une personne queer. «Vous devez les aider à concilier leur sexualité et leur religion afin qu'ils aient la confiance nécessaire pour entrer dans ces espaces.»
Maxine Kidali soutient que cette approche est plus efficace que de laisser les LGBTQ+ gérer leurs propres programmes religieux basés sur un financement précaire, avec peu d'impact sur ce qui se dit dans les églises et les mosquées traditionnelles.
Néanmoins, les chefs religieux qui soutiennent les personnes LGBTQ+ peuvent se retrouver eux aussi pris pour cible.
Maxine Kidali rappelle que certains dirigeants ont été excommuniés de leurs congrégations et repoussés par leurs proches pour avoir soutenu les personnes LGBTQ+.
Mark Odhiambo Odieny, le pasteur qui a lancé le programme de l'église de Kisumu il y a dix ans, s'est enfui aux États-Unis après que son activisme LGBTQ+ a incité des foules en colère à s'en prendre à lui. L'un d'eux a incendié sa maison.
Il a déclaré que les initiatives spirituelles sont cruciales pour que les personnes LGBTQ+ cessent de se sentir obligées d'abandonner la communauté et le lien que la religion leur offre.
«Vous ne pouvez pas abandonner qui vous êtes, mais vous pouvez abandonner une religion qui essaie de vous faire devenir quelqu'un que vous n'êtes pas», rappelle-t-il.
Le théologien Godfrey Adera raconte qu'il a été «invisibilisé» par d'autres religieux, qui ne le reconnaissent plus officiellement lors d'événements religieux et qui l'ont retiré d'un groupe d'applications de messagerie.
Il a déclaré que la situation au Kenya est plus volatile depuis sa rencontre avec La Presse Canadienne en juillet, avec la cyberintimidation et le harcèlement public des personnes ouvertement homosexuelles. Il a demandé à ne pas divulguer certains détails de son expérience racontés dans l'entrevue, en raison des préoccupations croissantes en matière de sécurité.
Le propre groupe religieux de M. Adera a déménagé tous les deux ou trois ans depuis sa création en 2013, chaque fois après que des habitants ont interrompu les services ou manifesté devant les locaux. Un propriétaire a même démoli le bâtiment qu'ils utilisaient auparavant.
«C’était dévastateur de voir notre structure physique démolie à cause du sectarisme, à cause de la haine que nous recevions du quartier», a-t-il déclaré.
Edwin Gumbe, de la communauté religieuse Anza Mapema, estime que la religion est le moyen par lequel de nombreux sentiments et lois contre les personnes LGBTQ+ ont pris racine en Afrique, et qu’elle est donc l’un des meilleurs outils pour inverser ces sentiments.
«Les gens utilisent beaucoup la religion pour se défendre ou pour propager la haine. Donc, si on n’aborde pas les problèmes dans ce domaine précis, on ne pourra faire que peu de progrès.»
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Cet article fait partie d’une série de huit reportages d'enquête sur le recul des droits des personnes LGBTQ+ en Afrique, et sur les conséquences pour le Canada en tant que pays doté d’une politique étrangère ouvertement féministe, qui accorde la priorité à l’égalité des genres et à la dignité des personnes. Ces reportages au Ghana, au Cameroun et au Kenya ont été réalisés grâce au soutien financier de la bourse R. James Travers pour correspondants étrangers.
Dylan Robertson, La Presse Canadienne