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Les écoles publiques se tournent vers la philanthropie, mais le privé empoche

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23 septembre 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — En manque de fonds, de plus en plus d’écoles publiques et surtout de centres de services scolaires se tournent vers la philanthropie afin d’aller chercher plus d’argent pour répondre à leurs besoins.

Une chercheuse de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), qui se penchait sur le caractère inégalitaire de la philanthropie dans le secteur de l’enseignement, a constaté avec surprise que le réseau public est à se tourner vers cette nouvelle source de financement.

«J'ai été surprise de voir (...) les écoles publiques se doter de fondations, d'organismes de bienfaisance, et j'ai été surprise de voir le nombre et de voir la croissance et j'ai aussi été surprise de voir qu'il y avait plusieurs écoles privées qui avaient plus d'un organisme de bienfaisance», a raconté Eve-Lyne Couturier, autrice de l’étude, en entrevue avec La Presse Canadienne.

Philanthropie inégale

L’objectif de la chercheuse était de démontrer que les élèves du réseau privé bénéficient davantage – et de loin – de la philanthropie que leurs vis-à-vis du réseau public. Ainsi, sans surprise, on apprend que les écoles privées et confessionnelles ont accaparé 92 % des dons faits dans le système scolaire québécois, soit 65,1 millions $, comparativement aux 5,7 millions $ récoltés par les écoles publiques.

L’IRIS, un groupe de réflexion de gauche, n’en est pas à ses premières publications visant à contester l’existence d’un réseau scolaire privé parallèle au réseau public tout en étant largement subventionné par l’État. L’étude de Mme Couturier vient ajouter à l’argumentaire en pointant du doigt le fait que non seulement la clientèle des écoles privées vient-elle de familles plus aisées qui peuvent payer les frais de scolarité exigés aux parents pour ces écoles, mais qu’en plus, les dons de charité, généralement faits là aussi par des contribuables plus aisés, permettent à ceux-ci d’aller chercher des crédits d’impôt pour dons de charité.

Elle évalue de façon sommaire que les crédits d’impôt obtenus pour les 65 millions $ de dons aux écoles privées se chiffrent entre un minimum de 22 millions $ et un maximum de 36 millions $. L’imprécision de ce montant est attribuable au fait que la valeur du crédit d’impôt varie en fonction du montant du don et qu’il aurait fallu analyser la valeur de chaque don individuel pour avoir un montant exact.

Les contribuables paient deux fois

Quoi qu’il en soit, fait-elle valoir, tous les contribuables se trouvent ainsi à payer deux fois pour l’école privée, d’abord par le financement direct de l’État et ensuite par la perte de 22 à 36 millions $ de revenus en crédits d’impôt pour dons de charité. Selon les données de l’édition 2023-2024 du «Guide général du financement, Éducation préscolaire et enseignement primaire et secondaire» du ministère de l’Éducation, Québec a financé le réseau scolaire privé à hauteur de 786,4 millions $, alors que les parents des enfants qui les fréquentent ont versé 481,3 millions $ en droits de scolarité. Toujours selon ce même document, le secteur privé reçoit 4,4 % du budget total du ministère de l’Éducation.

Du côté public, seulement 8 % des écoles ont une fondation ou un autre type d’organisme de bienfaisance pour aller chercher des dons. Il en va tout autrement des centres de services scolaires dont la moitié, soit 30 sur 61, se sont composés en organisme de bienfaisance enregistré pour fins fiscales, selon les vérifications de La Presse Canadienne. En général, ils reçoivent le financement du ministère de l’Éducation à travers l’organisme de bienfaisance qu’ils ont mis sur pied.

Pourtant, fait remarquer Mme Couturier, «un centre de services scolaire, ce n'est pas un organisme de bienfaisance, c'est un organisme parapublic».

Une absurdité

«Dans un système où on n'a pas d'argent, on va chercher l'argent où on peut et ça peut passer par la philanthropie, mais ça ne devrait pas être le cas, avance la chercheuse. Si on a une école publique généraliste qui est valorisée, peut-être qu'on aurait davantage envie de financer l’école par des dons, mais il serait préférable de financer ces écoles par les impôts.

«C’est supposé d'être un système universel et gratuit. Il y a quelque chose d'absurde d'avoir un financement philanthropique sur un système universel», fait-elle valoir.

Il est intéressant de noter que le «Guide général de financement» du ministère ne fait aucunement mention de dons dans les sources de financement des écoles publiques, alors qu’il le fait pour les sources de financement du réseau privé.

Quant à la philanthropie au réseau éducatif privé, Mme Couturier y voit une contradiction évidente. «Il y a des gens qui financent un réseau parallèle d'éducation alors que notre réseau public, lui, tombe en ruines. Il y a des besoins qui sont importants. Les dons de bienfaisance devraient participer à l'égalité des chances et non pas à creuser les inégalités.»

Elle reconnaît toutefois que son étude ne visait pas à trouver une solution pour rééquilibrer les choses, mais qu’«il s'agissait plutôt de regarder l'état de la situation et de faire l'illustration d'un système inégalitaire».

«Si on voulait changer les choses, c'est sûr qu'il faudrait revoir la structure de notre système d'éducation», conclut-elle.

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne