Le projet de train Toronto-Québec menacé par des retards et la démission de Trudeau
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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Les Canadiens qui espéraient que le projet de train à grande fréquence entre Toronto et Québec avancerait cette année verront au contraire de nouveaux retards, et la perspective d'élections fédérales rend le calendrier plus incertain que jamais.
À la fin de l'année dernière, le gouvernement fédéral a demandé une prolongation des appels d'offres pour la construction du corridor ferroviaire, ce qui pourrait repousser de plusieurs mois la sélection d'un partenaire privé, au-delà de l'échéance initiale fixée à la fin de l'année 2024.
Ce report constitue un revers pour un projet qui devrait s'étendre sur plus d'une décennie. Certains observateurs redoutent que l'ensemble du projet soit remis en cause par un éventuel changement de gouvernement à l'approche du départ du premier ministre Justin Trudeau.
La sélection d’un consortium pour diriger le projet pendant ses phases de planification et de construction – et d'en assurer l'exploitation et la maintenance par la suite – est une étape clé du processus. Le ministère des Transports avait déclaré que l’entrepreneur retenu, qui concevrait, construirait et exploiterait les voies, devait être annoncé d’ici la fin de l’automne 2024.
«Tous ceux que je connais qui sont impliqués dans l’industrie ferroviaire attendent avec impatience parce qu’ils croyaient que cette annonce aurait lieu au début du mois de décembre», a déclaré Terry Johnson, président du groupe de défense des passagers Transport Action Canada.
En 2021, les libéraux fédéraux ont présenté des plans pour un nouveau corridor ferroviaire avec des arrêts à Toronto, Peterborough, Ottawa, Montréal, Laval, Trois-Rivières et Québec. À l’époque, Ottawa avait estimé le coût entre 6 et 12 milliards $.
L’objectif était de transporter plus de passagers plus rapidement et plus souvent que les trains en proie à des retards de VIA Rail, dont la flotte vieillissante circule sur des voies appartenant en grande partie à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), qui donne la priorité aux trains de marchandises.
M. Johnson craint également que le report du calendrier facilite la tâche aux nouveaux dirigeants à Ottawa pour abandonner complètement le projet. Lundi dernier, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé qu'il démissionnerait après la course à la direction du Parti libéral et a prorogé le Parlement jusqu'au 24 mars. Son remplaçant sera confronté à un vote de confiance qui pourrait faire tomber le gouvernement, déclencher des élections et aboutir à un raz-de-marée conservateur.
«Tout changement de gouvernement entraînera presque certainement un processus de réexamen de tout ce que le gouvernement précédent a fait auparavant, soit en le confirmant, soit en le modifiant d'une manière ou d'une autre», a souligné M. Johnson.
Le bureau du chef conservateur Pierre Poilievre n'a pas répondu directement aux questions sur son soutien au projet.
«Après près d'une décennie du gouvernement libéral de Justin Trudeau, il n'y a pas de projet de train à grande fréquence à proprement parler. Il n'existe pas», a écrit dans un courriel le porte-parole du Parti conservateur en matière de transport, Philip Lawrence.
Pierre Barrieau, qui enseigne les transports et l'urbanisme à l'Université de Montréal, affirme que les propositions concurrentes présentent des plans complexes qui exigent une analyse approfondie et que les retards de plusieurs mois pour le mégaprojet ne devraient pas surprendre la population.
«Les trois offres ne portent fondamentalement pas sur la même chose. L’une aurait pu dire: "Je construis un tunnel ici", l’autre ferait une déviation à un autre endroit. L'une pourrait dire 250 kilomètres à l’heure, l’autre pourrait dire 375.»
Les trois consortiums sélectionnés pour soumettre des propositions sont: Cadence, qui comprend AtkinsRéalis (anciennement SNC-Lavalin) et Air Canada; Intercity Rail Developers, qui comprend DF Canada Infrastructure Group du milliardaire montréalais André Desmarais; et QConnexiON Rail Partners, qui comprend WSP Canada.
Aucun contrat accordé
L’appel d’offres demandait à chacun des trois groupes de présenter deux offres: l’une pour un réseau ferroviaire conventionnel où les trains rouleraient à 200 km/h (la limite actuelle est d’environ 160 km/h) et l’autre pour un corridor ferroviaire à grande vitesse.
«Il est vraiment difficile de comparer un Hyundai Tucson à une Porsche», a déclaré M. Barrieau, ajoutant que ce genre de retard, bien qu'indésirable, est normal pour un projet de cette envergure.
«Les mégaprojets sont toujours en retard. Tous les mégaprojets ont presque toujours des dépassements de coûts», a-t-il dit.
Le bureau de la ministre fédérale des Transports, Anita Anand, a reconnu que les prolongations étaient «la norme», la possibilité étant incluse dans la demande de propositions.
«Aucun contrat n’a été accordé à un consortium pour le projet ferroviaire du corridor Québec-Toronto. J’ai hâte de partager davantage d’informations le moment venu», a écrit Mme Anand par courriel.
L’annonce reportée fait suite à des retards antérieurs ainsi qu’à de multiples projets de train à grande vitesse qui ont échoué au cours des dernières décennies.
Le gouvernement fédéral a ralenti le calendrier du train rapide pour passagers en juillet 2023, lorsque le ministre des Transports de l’époque, Omar Alghabra, avait déclaré qu’il espérait que la ligne serait opérationnelle d’ici le milieu des années 2030 plutôt qu’au début de la décennie, comme il l’avait prévu auparavant.
Le corridor entre Toronto et Québec passerait par une voie ferrée presque entièrement neuve sur des terrains appartenant en grande partie aux deux géants ferroviaires canadiens, le CN et le Canadien Pacifique Kansas City.
Il pourrait nécessiter des centaines de millions de dollars uniquement pour la construction de passages souterrains, puisque les lignes ne pourraient pas accueillir de passages routiers, selon Transports Canada. D’autres infrastructures, telles que des clôtures, seraient également nécessaires, en plus de l’adhésion d’une multitude de gouvernements locaux et provinciaux.
Martin Imbleau, qui dirige le projet, a prévu que le corridor accueillerait 17 millions de passagers par an d'ici le milieu du siècle.
Christopher Reynolds, La Presse Canadienne