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Le changement climatique grignote les côtes et menace les phares du Canada

durée 14h12
31 décembre 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

HALIFAX — Depuis plus de 150 ans, le phare robuste et soigné de Walton Harbour, en Nouvelle-Écosse, veille depuis une falaise surplombant la partie supérieure de la baie de Fundy.

Mais ces dernières années, l'érosion côtière a laissé la tour en bois historique dangereusement proche du bord de la falaise, ce qui fait craindre que la municipalité ne perde un attrait touristique et un lien avec son passé.

«Depuis une dizaine d'années, l'érosion s'est accélérée», explique John Ogilvie, vice-président de la Walton Area Development Association. «Des deux côtés, la falaise s'incurvait... Nous devions trouver un moyen de protéger un atout extrêmement important pour notre communauté.»

En novembre, la municipalité a mis de côté 100 000 $ pour faire glisser le phare à environ 45 mètres à l'intérieur des terres pour le mettre en sécurité. Cette décision coûteuse illustre l'impact réel du changement climatique dans une partie du pays où le littoral recule régulièrement, parfois à un rythme alarmant.

«Le changement climatique n'est pas un phénomène futur», affirme M. Ogilvie, qui est également le coordonnateur de l'action climatique de la municipalité. «Il est là et nous y faisons face maintenant... Et cela peut signifier investir beaucoup d'argent pour changer notre façon de faire les choses.»

Le littoral recule

Avec 13 000 kilomètres de littoral, la Nouvelle-Écosse fait face à des risques importants à mesure que les tempêtes s'intensifient et que le niveau de la mer monte. «Nous voyons plus de tempêtes et elles deviennent plus fortes», déclare M. Ogilvie. «Nous le constatons avec les dégâts causés par les ouragans et les extrêmes climatiques.»

Le chercheur scientifique Tim Webster, expert des questions côtières, affirme que les données qu'il a recueillies au cours des 20 dernières années montrent que le littoral de la province se déplace vers l'intérieur des terres, en moyenne d'environ 30 centimètres, soit un pied, chaque année.

«Mais c’est un peu trompeur, car il s’agit d’un phénomène épisodique», explique M. Webster, qui dirige le groupe de recherche en géomatique du campus du Nova Scotia Community College à Middleton, en Nouvelle-Écosse. «Il peut y avoir des années sans aucune érosion, puis quelques grosses tempêtes et, tout d’un coup, il y a une érosion de quelques mètres.»

Il affirme lui aussi que de plus en plus de preuves suggèrent que les tempêtes deviennent plus intenses et plus fréquentes.

La Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard ont été frappées par l’ouragan Juan en 2003, puis par la tempête post-tropicale Dorian, en 2019, mais la tempête post-tropicale Fiona, en 2022, a atteint un nouveau record de destruction, s’avérant être l’événement météorologique extrême le plus coûteux jamais enregistré au Canada atlantique.

L’onde de tempête enregistrée pour Juan était de 1,75 mètre au-dessus des niveaux de marée normaux le long de la côte nord de la Nouvelle-Écosse, et Dorian n’était pas loin derrière avec 1,5 mètre, explique le scientifique. Mais Fiona était un monstre, poussant les marégraphes à 2,4 mètres de hauteur.

«Cela nous a réveillés, suggérant que c'est à cela que ressembleront les tempêtes à l'avenir, à mesure que l'océan se réchauffe et que le climat change», a pointé M. Webster dans une entrevue.

«Si Fiona devait se produire tous les trois ou quatre ans, il ne faudrait pas longtemps (pour que l'érosion côtière de la Nouvelle-Écosse) commence à se déplacer plus vite que 30 centimètres par an.»

Entre-temps, des chercheurs de l'Université de l'Île-du-Prince-Édouard ont publié une étude l'année dernière qui confirmait que la marée de tempête de Fiona sur la côte nord-ouest de l'île était si élevée qu'elle a désactivé les marégraphes. Le niveau d'eau extrême n'a pas été enregistré.

L'étude a noté que des recherches antérieures avaient révélé que le taux moyen de changement du littoral — mesuré pour l'ensemble de l'île entre 1968 et 2010 — était de 28 centimètres par an. Des recherches ultérieures ont révélé que le taux avait augmenté de 40 centimètres par an entre 2000 et 2010.

Sur la côte ouest, la Garde côtière canadienne a décidé en juillet de retirer définitivement les gardiens de phare de deux phares le long de la côte sud-ouest de l'île de Vancouver après qu'une étude a révélé que certains bâtiments de Carmanah Point et de Pachena Point n'étaient pas sécuritaires en raison de l'instabilité du sol.

«La priorité est d'assurer la sécurité des gardiens de phare, qui seront déplacés hors des bâtiments avant que les conditions hivernales ne créent des défis supplémentaires», a indiqué la Garde côtière dans un communiqué. «Le terrain sous les phares n'est pas assez stable (et) augmente le risque d'effondrement de pente en cas de tremblement de terre important.»

Des sols minés et des structures menacées

Au Centre canadien sur les changements climatiques et l'adaptation, à l'Île-du-Prince-Édouard, des chercheurs ont déterminé que 17 des 61 phares et feux d'alignement de l'île sont menacés par l'érosion côtière.

Les phares d'East Point, de Cape Bear, de Rustico et de Cape Egmont ont déjà été déplacés, tandis que des protections côtières ont été ajoutées près des phares de Point Prim, Beach Point, Souris et West Point.

Outre les phares, le centre a identifié plus de 1000 maisons et chalets de l'île qui sont particulièrement vulnérables.

L'étude de l'Île-du-Prince-Édouard a également noté une autre complication due au changement climatique: pendant l'hiver, la réduction de la couverture de glace autour de l'île a laissé les rivages sans protection contre les grosses vagues soulevées par les tempêtes.

Ce problème persiste à Annandale, à l'Île-du-Prince-Édouard, où l'érosion a, pendant des années, miné le sol près du phare historique de la ville, laissant un côté suspendu au bord de la rivière Broughton, qui se jette dans le port de la ville.

«Toutes les tempêtes que l'on rencontre à l'automne et après, ainsi que les marées hautes et les ondes de tempête, ça martèle (le rivage)», explique Greg Norton, un résident local dont les ancêtres ont exploité le phare haut et étroit pendant des générations. «Il a traversé quelques ouragans et nous pensions qu'il allait disparaître... Je dirais que nous perdons un pied (de berge) ici chaque année.»

Le phare en bois de 19 mètres, construit en 1901, a été déplacé d'environ 30 mètres à l'intérieur des terres, jusqu'à la propriété de M. Norton, en 2020. Depuis deux ans, sa famille exploite le bâtiment comme propriété de location Airbnb.

À Walton, en Nouvelle-Écosse, le phare sauvé de la ville est désormais ouvert chaque été pour offrir une vue imprenable sur les marées records de la baie de Fundy. Ses côtés en planches blanches et sa salle de lanterne à capuchon rouge présentent une image parfaite de la vie dans les Maritimes.

John Ogilvie dit que les visiteurs du seul phare d'origine du comté peuvent encore sentir le kérosène qui était utilisé dans ses lampes à mèche plate d'origine.

«Les gens devraient voir le déplacement du phare comme quelque chose qui était nécessaire parce que l'érosion était déjà là, dit-il. Nous devons vraiment travailler en tant que communautés et ensemble en tant que province et pays pour vraiment nous attaquer à un problème qui se pose ici et maintenant.»

Michael MacDonald, La Presse Canadienne

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