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Le canal de Lachine à Montréal, qui a connu bien des vies, fêtera ses 200 ans en 2025

durée 08h00
3 janvier 2025
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

6 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — Autrefois, le soir du Nouvel An, les Montréalais qui habitaient sur les rives du canal de Lachine ouvraient leurs portes, malgré l'hiver, pour entendre les sirènes des usines voisines résonner à minuit.

Voilà l’une des histoires que l’historien Steven High a entendues à maintes reprises de la bouche de résidants des quartiers ouvriers qui bordaient le canal. La plupart de ces usines ont aujourd’hui disparu, et le canal actuel, bordé de pistes cyclables et d'immeuble en copropriété, serait méconnaissable pour un Montréalais des années 1940 qui aurait voyagé dans le temps.

Il reste certains monuments familiers à de nombreux Montréalais, comme le panneau rouge fluo «Farine Five Roses» près du Vieux-Port, par exemple, ou les silos délabrés de la «Canada Malting» plus à l’ouest. Mais le canal de Lachine, qui célèbre son 200e anniversaire cette année, est en constante évolution. En deux siècles, il est passé d’une importante artère industrielle et maritime à un bassin négligé, puis à un parfait exemple de gentrification urbaine.

Le canal est à la fois un emblème et un microcosme de Montréal, une source de fierté et de débats. «C’est l’endroit où ces forces sont les plus visibles à Montréal, estime l'historien High, professeur à l’Université Concordia. Vous allez au canal (…) et vous pouvez voir la ville se transformer sous vos yeux.»

L’idée d’un canal pour contourner les rapides de Lachine en amont de Montréal est presque aussi vieille que la ville elle-même. Mais les premières tentatives de construction d’un canal, à partir de la fin du XVIIe siècle, se sont soldées par un échec.

Ce n’est qu’en 1821 que les travaux ont véritablement commencé, poussés par des marchands montréalais qui voulaient faire de la ville un important pôle commercial en ouvrant un passage sur le fleuve Saint-Laurent. Ils sentaient la menace du canal Érié, alors en construction, qui relierait les Grands Lacs à la rivière Hudson et transformerait la ville de New York en un port majeur.

Le canal de Lachine, long de 14 kilomètres et ouvert en 1825, a été construit en grande partie par des immigrants irlandais, qui se sont installés dans le quartier aujourd’hui appelé Griffintown, dans l’ouest de la vieille ville. Les conditions de travail étaient très dures et un conflit de travail sanglant survint lors de l’agrandissement du canal en 1843, faisant plusieurs morts.

«Bordé mur à mur d'usines»

Le canal fut le premier maillon d’une série de canaux construits le long du fleuve Saint-Laurent pour permettre aux bateaux de naviguer entre les Grands Lacs et l’océan Atlantique, explique Émilie Girard, historienne auprès de L’usine à histoire(s), un organisme offrant des services de consultation en matière de patrimoine. Le canal de Lachine fut agrandi deux fois au cours de ses 60 premières années de service, afin d'accueillir des navires de plus en plus gros.

La voie navigable stimula également une vague de développement industriel à Montréal, avec l’apparition rapide d’usines le long de ses rives. Elles étaient attirées par la promesse de l’énergie hydraulique des écluses du canal... et par la commodité de déverser leurs déchets directement dans le chenal.

Au début du XXe siècle, «le canal était bordé mur à mur d'usines, d’un bout à l’autre», explique le professeur High. On y trouvait de tout, des moulins à farine aux usines de textile et d’outillage jusqu’à l’immense raffinerie de sucre Redpath. Selon Parcs Canada, plus de 600 entreprises ont occupé des terrains le long du canal au cours de ses 200 ans d’histoire. «C’est devenu un pôle névralgique pour toute l’économie canadienne», souligne l'historienne Girard.

Mais l’âge d’or n’a pas duré: la voie navigable est devenue obsolète avec l’ouverture en 1959 de la Voie maritime du Saint-Laurent, qui permet aujourd’hui aux navires de circuler dans un autre canal, dragué le long de la rive sud du fleuve, cette fois.

La plupart des usines ont fermé dans les années qui ont suivi, dévastant les communautés ouvrières proches du canal. Mme Girard estime que 40 % des emplois du sud-ouest de Montréal ont disparu pendant cette période, et de nombreux résidants se sont déplacés vers l’est, en direction du port de Montréal.

Secteur de plaisance

Le canal a été définitivement fermé à la navigation en 1970, et dans les années qui ont suivi, il n’était guère plus qu’une «fosse de drainage», souligne le professeur High. Une partie du canal a même été remblayée.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais en 1978, Parcs Canada a pris possession du site, dans ce qui, selon M. High, était une tentative d'y planter le drapeau canadien après la première victoire du Parti québécois, souverainiste, deux ans plus tôt.

Le canal de Lachine a finalement été désigné «lieu historique national» en 1996, et Parcs Canada a lancé un important projet de revitalisation l'année suivante. Le canal a rouvert à la navigation de plaisance en 2002, et les visiteurs peuvent désormais louer des kayaks ou des pédalos en forme de cygne pour naviguer sur ses eaux.

En été, les sentiers le long du canal se remplissent de cyclistes et de joggeurs. Les grimpeurs peuvent escalader les silos abandonnés de 38 mètres de la raffinerie Redpath. Selon Mme Girard, plus d'un million de personnes visitent désormais le canal chaque année pour se divertir.

De nos jours, de larges sections du canal sont bordées d'immeubles d'appartements en copropriété haut de gamme, et d'autres sont encore en construction. Juste à côté des silos de céréales, l’ancienne raffinerie de sucre Redpath, toute en briques rouges, a été transformée en lofts, pour ceux qui peuvent se permettre d’acheter un petit morceau d’histoire.

Gentrification très rapide

Florian Mayneris, professeur d’économie à l’Université du Québec à Montréal, soutient que la revitalisation du canal de Lachine a entraîné une gentrification du secteur plus rapide que dans d’autres quartiers centraux de Montréal.

L’année dernière, la Ville a lancé un nouveau projet pour attirer les entreprises vers le canal, mais avec une saveur nettement «21e siècle». L’époque de l’industrie lourde est révolue: là où se trouvaient autrefois les usines, la Ville veut maintenant attirer des jeunes pousses technologiques et des entreprises d’économie sociale, a déclaré Benoît Dorais, maire de l’arrondissement du Sud-Ouest.

Cette gentrification ne réjouit pas tout le monde. Une bataille de plusieurs années au sujet des silos abandonnés de la «Canada Malting» a vu un organisme communautaire faire pression pour des logements abordables au lieu d’un autre projet de «condos» proposé par un promoteur montréalais.

Mais la réalité est que ces promoteurs sont souvent les seuls à pouvoir se permettre de rénover d’anciens sites industriels. «Il y a beaucoup de décontamination», a souligné le maire Dorais. «Et il faut conserver certains éléments patrimoniaux et les restaurer. C’est extrêmement coûteux.»

M. Dorais a indiqué que le promoteur avait maintenant tous les droits pour construire sur le site de la «Canada Malting», même si les travaux n'ont pas encore commencé.

Le résultat de toute cette restauration, selon le professeur High, est que les promoteurs préservent le cachet des vieux silos et des façades en briques rouges au profit de gens qui n’ont aucun lien avec l’histoire ouvrière du secteur. «Les gens avaient un lien multigénérationnel avec ces quartiers (…) et maintenant, ils ne peuvent plus se permettre d’y vivre.»

Deux cents ans plus tard, le canal de Lachine a cimenté son héritage en tant que moteur du développement industriel de Montréal et élément clé du patrimoine de la métropole. Ce à quoi son avenir devrait ressembler est toutefois moins clair.

«Où repose le patrimoine ?», demande M. High. «Se trouve-t-il dans les briques et le mortier ? Ou réside-t-il en fait dans les communautés et dans les citoyens eux-mêmes ?»

Maura Forrest, La Presse Canadienne

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