Le Canada peut tirer des leçons de la campagne victorieuse de Donald Trump
Temps de lecture :
5 minutes
Par La Presse Canadienne, 2024
WASHINGTON — Donald Trump avait un grand sourire devant ses partisans après que des millions d'Américains se sont rendus aux urnes pour choisir le leader républicain controversé comme prochain président des États-Unis dans un étonnant retour en force qui signale un virage américain vers l'isolationnisme, le protectionnisme et les tarifs douaniers.
«Nous avons surmonté des obstacles que personne ne pensait possibles et il est maintenant clair que nous avons accompli la chose politique la plus incroyable. Regardez ce qui s'est passé, ce n'est pas fou?», s'est réjoui M. Trump le 6 novembre en Floride, semblant choqué par ses victoires dans certains États clés.
«C'est une victoire politique que notre pays n'a jamais vue auparavant, rien de tel.»
Donald Trump n'a pas encore emménagé à la Maison-Blanche, mais sa victoire a envoyé des ondes de choc dans le monde entier. Moins d'un mois après l'élection, le président élu a ramené sa «diplomatie Twitter», publiant sur les réseaux sociaux des menaces d'imposition de tarifs douaniers dévastateurs de 25 % sur le Canada et le Mexique.
«Ce sentiment que le Canada était un ami spécial et donc protégé, je pense, est mort», a déclaré Christopher Sands, directeur du Canada Institute au Woodrow Wilson Center à Washington. «Il y a toujours quelque chose de spécial, mais ce n'est pas le bouclier pare-balles que nous pensions tous que c'était.»
Les événements politiques explosifs survenus à Ottawa ce mois-ci ont ajouté encore plus d'incertitude autour des relations canado-américaines. La démission soudaine de Chrystia Freeland comme ministre des Finances a déclenché des appels croissants pour que le premier ministre Justin Trudeau démissionne, une décision sur laquelle il réfléchit pendant les vacances.
Alors que le monde se prépare à une deuxième administration Trump, les experts disent qu'il y a des leçons à tirer de la campagne tumultueuse de 2024.
Une campagne inhabituelle
La route vers les urnes a été longue et cahoteuse. Revenons au printemps, lorsque de nombreux Américains, mécontents de ce qu'ils considéraient comme une répétition de l'élection de 2020 entre M. Trump et le président Joe Biden, n'étaient engagés avec aucun des deux partis.
Tout a changé lors du débat présidentiel du 27 juin. Les inquiétudes en coulisses concernant l'âge et l'acuité mentale du démocrate étaient pleinement visibles. M. Biden, d'une voix rauque, trébuchait sur ses mots et perdait le fil de ses pensées.
Les questions se sont multipliées quant à savoir s'il pourrait rester sur le ticket.
Quelques semaines plus tard, un homme armé a ouvert le feu lors d'un rassemblement de M. Trump en Pennsylvanie. L'image qui a fait surface après la tentative d'assassinat était frappante: le républicain levant le poing en l'air avec un drapeau américain en arrière-plan tandis que du sang coulait sur le côté de son visage.
Ce fut un moment décisif, contrastant avec la montée en puissance de Donald Trump face à son adversaire démocrate affaibli.
Peu de temps après, le président Biden a cédé à la pression de son propre parti. Il a soutenu Kamala Harris, sa numéro deux, alors qu'il abandonnait la course le 21 juillet.
La vice-présidente a rapidement agi pour consolider le soutien et sa première campagne s'est appuyée sur l'idée d'apporter la joie. Elle l'a fait en parlant de problèmes de cuisine, en utilisant des mèmes, des célébrités et des noix de coco. Si cela a revigoré les démocrates, l'enthousiasme ne s'est pas propagé au-delà de la base du parti.
Mme Harris a continué à être harcelée par l'héritage de l'administration Biden à la frontière et elle n'a pas réussi à convaincre les électeurs préoccupés par leur portefeuille pendant la campagne de 107 jours.
M. Trump a su répondre aux craintes des Américains concernant l'économie et l'immigration illégale tout en promettant de réduire les dépenses fédérales. Il a promis des droits de douane drastiques et un retrait des institutions internationales.
«Je gouvernerai selon une devise simple: promesses faites, promesses tenues. Nous allons tenir nos promesses», a déclaré le président élu dans son discours de victoire.
L'attitude dédaigneuse envers M. Trump «est également morte cette année», a déclaré Sands.
«Même si cela a pris du temps, il y a une reconnaissance qu'il représente quelque chose d'authentique et qu'il a un soutien politique».
Un changement profond
Le système de gouvernement américain traverse un changement qui ne se produit qu'une fois par génération, a affirmé pour sa part Alasdair Roberts, professeur de politique publique à l'Université du Massachusetts à Amherst. Les idées sur ce que le gouvernement devrait faire changent de manière fondamentale.
Cela s'est produit dans les années 1930 avec les programmes du New Deal de l'ancien président Franklin D. Roosevelt pour aider les gens à se remettre de la Grande Dépression. Un autre changement s'est produit dans les années 1980 sous Ronald Reagan avec l'avènement des politiques axées sur le marché.
Donald Trump a pu surfer sur une vague d'insatisfaction qui s'est enflammée depuis la crise financière mondiale qui a débuté en 2007. Des données de la firme Gallup montrent que les gens ont le sentiment que le pays va dans la mauvaise direction depuis au moins 20 ans.
Le résultat: des États-Unis profondément divisés.
M. Roberts a déclaré que le Canada devra faire face au fait que son voisin le plus proche et principal partenaire commercial sera «instable et imprévisible pendant des années». Miser sur l'avenir du Canada en fonction de la notion d'une relation spéciale partagée est tout simplement «une recette pour un désastre, a-t-il ajouté. Nous devons nous ressaisir».
Cela signifie une diplomatie plus intensive, estime-t-il. L'équipe canadienne du gouvernement fédéral a communiqué avec tous les niveaux de représentants élus américains des deux partis pendant des mois avant les élections et le premier ministre Justin Trudeau a relancé un comité du cabinet sur les relations canado-américaines un peu plus de 24 heures après la victoire du républicain.
M. Trudeau s'est également rendu à Mar-a-Lago pour un dîner avec le président élu le mois dernier.
M. Sands juge que le Canada joue un bon rôle défensif, mais qu'Ottawa ne peut pas simplement «éviter que de mauvaises choses ne se produisent».
Ottawa doit démontrer que le Canada est un partenaire précieux. Si le Canada est confronté à des contraintes budgétaires ou réglementaires, explique M. Sands, les États-Unis commenceront à chercher ailleurs.
Cela pourrait être difficile face aux nouvelles menaces de renversement du gouvernement libéral, au leadership de M. Trudeau en suspens et au fort potentiel de changement de gouvernement lorsque les Canadiens se rendront aux urnes en 2025.
Les législateurs américains ont de plus en plus douté pendant l'administration Biden que le Canada puisse réellement faire des choses pour aider les États-Unis, a-t-il ajouté.
Par exemple, M. Sands a déclaré que le Canada parle beaucoup des minéraux critiques, mais qu'il est possible de faire davantage pour fournir la ressource recherchée. Il a noté que le ministère américain de la Défense a réalisé des investissements importants dans l'exploitation minière canadienne dans le cadre du Plan d'action conjoint américano-canadien sur les minéraux critiques.
Le Canada peut également être un partenaire proactif dans la réglementation de l'intelligence artificielle ou dans la région Indo-Pacifique.
«Beaucoup de choses sont en jeu en ce moment», a conclu M. Sands.
Kelly Geraldine Malone, La Presse Canadienne