Nous joindre
X
Rechercher
Publicité

Le Barreau du Québec plaide la prudence face à l’intelligence artificielle

durée 10h00
12 janvier 2025
La Presse Canadienne, 2024
durée

Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — La machine ne remplacera jamais l’humain, selon le Barreau du Québec. L’ordre professionnel des avocats plaide la prudence face à l’utilisation de l’intelligence artificielle.

La bâtonnière du Québec, Me Catherine Claveau, met en garde la population «contre les raccourcis qu’on pourrait être tenté d'emprunter en utilisant les outils d'intelligence artificielle (IA), qui ne peuvent pas remplacer un véritable accompagnement par un professionnel du droit».

«La mission principale du Barreau du Québec est la protection du public. Il y a des enjeux éthiques et déontologiques autour de la profession juridique qui ne sont pas couverts par une machine. Il faut se méfier. Ça ne pourra jamais être une opinion juridique pure et dure», affirme-t-elle en entrevue.

Le Barreau a justement lancé une campagne publicitaire nationale pour sensibiliser les gens aux risques.

«Il y a des outils à la portée de tout le monde qui vous donnent l'impression que vous n’avez pas besoin d'aller plus loin parce qu’ils donnent une réponse à votre question. Le message qu'on veut passer, c’est que la réponse que vous obtenez n'est pas tout à fait adaptée à votre contexte, puisque les données sont dépersonnalisées. Il y a des nuances qui ne peuvent pas être apportées par un logiciel», indique Me Claveau.

Elle souligne que «les enjeux sont importants parce que ça peut aller jusqu'à une perte de droits».

Il y a aussi des problèmes potentiels de confidentialité, soulève-t-elle. «Si vous faites affaire avec un avocat, toutes vos données personnelles confidentielles seront conservées. Si vous donnez des informations personnelles confidentielles à la machine, vous ne savez pas jusqu'où ça peut aller. Il y a un risque d'égarement et de non-protection. Il faut donc faire attention avant d'utiliser ces logiciels-là.»

«On l’encourage, on ne l’interdit pas»

Ces outils peuvent toutefois constituer un point de départ intéressant pour les non-initiés. «Le conseil numéro un, c’est de dire: si vous avez un point de départ, partez avec ça et appelez un avocat pour qu’il continue l'analyse avec vous. Ne vous fiez pas juste à ça parce que vous pourriez vous ramasser dans une situation compliquée.»

Me Claveau rappelle que, contrairement aux outils d’IA, les avocats sont imputables. «Si, par exemple, un avocat commet une erreur, il y a une assurance responsabilité professionnelle qui fait en sorte que, si ça vous cause des ennuis ou des dommages, vous allez pouvoir obtenir compensation, ce qui n’est pas le cas si la perte de droits provient d'une machine.»

Malgré ces réserves, le Barreau ne démonise pas l’IA. Au contraire. Après réflexion, l’ordre a statué que la technologie peut s’avérer utile.

«Lorsqu'on a commencé à parler, il y a quelques années, de l'arrivée de l'intelligence artificielle, on a été proactif, on s'est posé la question si on devait être pour ou contre. On s'est vite rendu compte qu'on ne pouvait pas être contre. L’intelligence artificielle fait dorénavant partie de nos pratiques. On l’encourage, on ne l’interdit pas.»

Pour encadrer les professionnels du droit, le Barreau a créé en novembre dernier un guide des meilleures pratiques à ce sujet. Le document sera appelé à changer au gré des avancées technologiques. «Évidemment, on va continuer de rester à l'affût parce que ça évolue vite. On va bonifier le guide au fil du temps pour bien encadrer ce phénomène-là», précise la bâtonnière du Québec.

Le Barreau a également embauché un avocat spécialisé en la matière pour aider à «développer autant notre position comme ordre professionnel que notre orientation».

Pas une panacée

Parmi les quelque 30 500 membres, ils sont d’ailleurs nombreux à recourir à l’IA. Et pour cause: la technologie permet avant tout d’économiser du temps précieux.

Me Claveau donne l’exemple de la recherche documentaire, qui nécessite souvent d’éplucher un grand volume de doctrine, c’est-à-dire l’ensemble des travaux qui exposent et interprètent le droit.

«On se base souvent sur des précédents en jurisprudence sur la doctrine. Il y a des compagnies très sérieuses, comme CanLII, qui développent des logiciels de recherche de plus en plus sophistiqués et qui font de plus en plus appel à l'intelligence artificielle. Le croisement de certaines données peut vraiment nous faire sauver beaucoup de temps plutôt que de passer des heures à la bibliothèque.»

Elle cite également la préparation judiciaire. «Lorsqu'on doit préparer des interrogatoires, des contre-interrogatoires ou un plan de plaidoirie, on peut donner des données à la machine, qui va nous aider à structurer notre pensée. Au niveau de la forme, on peut sauver beaucoup de temps.»

Là encore, la prudence est de mise. «Je réitère qu’il faut toujours qu’un humain repasse par-dessus la machine pour voir si le modèle proposé s’adapte vraiment à la situation du client. Il faut continuer à procéder à l'analyse, à consulter ses collègues, à travailler en équipe et à se valider.»

Me Claveau insiste sur le fait que «ce n'est pas une panacée». «Ce sont des outils pour faciliter et alléger notre travail, mais il faut rester vigilant, il faut les utiliser avec parcimonie.»

Sébastien Auger, La Presse Canadienne

app-store-badge google-play-badge