Nous joindre
X
Rechercher
Publicité

La démission de Chrystia Freeland se démarque parmi les départs de cabinets

durée 19h21
16 décembre 2024
La Presse Canadienne, 2024
durée

Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

Le fait qu'une ministre des Finances condamne ouvertement les politiques du premier ministre au moment de son départ constitue un nouveau degré d'acrimonie dans l'histoire politique canadienne, selon des observateurs de longue date de la politique du pays.

Le départ de Chrystia Freeland du portefeuille des Finances n'est pas une première dans la politique canadienne, mais partir à la veille d'une mise à jour économique en adressant une réprimande cinglante au chef libéral est «sans précédent», a avancé l'historien politique Raymond Blake, dans une entrevue lundi.

«C'est vraiment mettre les deux doigts dans les yeux de Justin Trudeau», a indiqué le professeur à l'Université de Regina, dont le livre «Canada's Prime Ministers and the Shaping of National Identity», a été publié en juin.

Dans sa lettre de démission rendue publique lundi, Mme Freeland a écrit que le gouvernement devrait «éviter les astuces politiques coûteuses» et «préserver notre capacité fiscale», ajoutant qu'elle et le premier ministre Justin Trudeau étaient «en désaccord sur la meilleure voie à suivre pour le Canada».

Dans l’histoire du Canada d’après-guerre, plusieurs ministres des Finances ont été en désaccord avec le premier ministre et ont ensuite démissionné, a souligné M. Blake. Cette situation se produit généralement en raison de la tension naturelle entre l’objectif du premier ministre de réélire le gouvernement et le rôle du ministre des Finances de contrôler les dépenses, a-t-il expliqué.

Il cite l’exemple de John Turner, qui a fait la une des journaux nationaux lorsqu’il a quitté le cabinet en 1975. L’Encyclopédie canadienne note que les partisans de l’ancien premier ministre Pierre Trudeau ont présenté la démission de M. Turner comme un acte de déloyauté. Le consensus était qu’il avait démissionné parce qu’il n’avait pas réussi à convaincre ses collègues de réduire les dépenses publiques, selon l'Encyclopédie.

Il y a également eu le départ en 2002 de Paul Martin, ministre des Finances du gouvernement de l’ancien premier ministre Jean Chrétien, alors que M. Martin se préparait à contester le leadership du premier ministre.

Le départ de Chrystia Freeland diffère toutefois en raison de son désaccord ouvert avec le chef du parti alors qu’elle quitte ses fonctions, contribuant potentiellement à la défaite future de son propre gouvernement, selon M. Blake.

«Elle se prépare manifestement à ce qui viendra après Justin Trudeau, ou si quelque chose vient après M. Trudeau (...) C'est assez inhabituel pour quelqu'un au sein du Parti libéral, où ils n'aiment pas laver leur linge sale en public», a-t-il déclaré.

Le professeur voit une similitude avec Lucien Bouchard, qui a quitté le cabinet de Brian Mulroney en 1990, alors que le premier ministre progressiste-conservateur s'efforçait de sauver l'accord constitutionnel du lac Meech. M. Bouchard s'était déclaré en faveur de la souveraineté du Québec, et son départ a brisé leur longue amitié.

«Je pense que c'est une très bonne analogie», a soutenu M. Blake, notant que, même si Justin Trudeau n'est pas un ami proche de Mme Freeland, «il l'a vraiment préparée, en lui donnant des postes très en vue, et maintenant elle s'en va en trombe.»

«Elle était en quelque sorte une protégée et cela semble clairement s'être effondré.»

Un «épisode dramatique»

Les dommages à la crédibilité du gouvernement libéral sont graves, selon Peter Woolstencroft, professeur émérite de politique à l'Université de Waterloo.

«Cela sape le message que l’équipe libérale est aux commandes, car les libéraux se tirent dessus. (…) Le premier ministre est maladroit dans ses relations avec la ministre des Finances, alors elle démissionne et le laisse en plan. Maintenant, le gouvernement est dans la tourmente», a-t-il mentionné.

Le départ de Mme Freeland se distingue également par le fait que «cela se passe directement sur nos écrans, et nous le regardons en direct», a-t-il estimé.

Daniel Béland, directeur de l’Institut d’études canadiennes de l’Université McGill, a indiqué dans un courriel lundi que, même si Mme Freeland n’est pas la première ministre de haut rang à claquer la porte, son départ est un «épisode dramatique» qui affaiblit le leadership déjà mis à mal de Justin Trudeau.

Et il y a des différences significatives avec les départs d’anciens ministres des Finances, comme MM. Turner et Martin. Ces deux derniers, a-t-il noté, «n’ont pas démissionné le jour où ils étaient censés présenter un énoncé économique et financier majeur au nom du gouvernement. C’est vraiment sans précédent, et cela ajoute du drame à une situation déjà dramatique».

L'effet est d'autant plus fort que Chrystia Freeland a été la numéro deux du gouvernement Trudeau pendant des années et qu'elle quitte le pouvoir avec les armes à la main.

«Qui elle est, la façon dont elle est partie et le contenu de la lettre sont tous importants ici», a ajouté M. Béland.

Michael Tutton, La Presse Canadienne

app-store-badge google-play-badge