L'idée de définancer CBC/Radio-Canada est mal accueillie par un comité des Communes
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Par La Presse Canadienne, 2024
C’est avec la proposition la plus radicale d’entre toutes que se sont ouvertes, lundi à Ottawa, les audiences du Comité permanent du patrimoine canadien, lorsque la directrice albertaine de la Fédération des contribuables canadiens, Kris Sims, est venue réclamer le définancement complet de CBC/Radio-Canada et la fin de tout soutien gouvernemental à tous les médias sans exception.
Première à prendre la parole, Mme Sims a invoqué trois raisons pour cesser de financer le diffuseur public: son coût annuel de 1,4 milliard $; les faibles cotes d’écoute; et le fait que les journalistes «ne devraient jamais travailler pour le gouvernement», car ils se trouvent ainsi en conflit d’intérêts, a-t-elle soutenu.
Parlant du coût, Mme Sims a cherché à créer un parallèle en affirmant qu’avec cet argent, «on pourrait employer 7000 paramédics et 7000 policiers ou payer l’épicerie de 85 000 familles pendant un an». Elle a du même coup dénoncé les bonus versés aux cadres et les salaires élevés de la haute direction.
Indépendance éditoriale
Bien que les députés conservateurs siégeant au Comité se soient montrés sympathiques à son discours, alors que leur chef, Pierre Poilievre, promet de définancer non pas l’ensemble du diffuseur, mais bien seulement la CBC tout en maintenant le service français de Radio-Canada, la Fédération s’est trouvée isolée dans sa position. L’ensemble des autres témoins étaient plutôt venus réclamer non seulement le maintien de CBC/Radio-Canada, mais aussi un rehaussement et une pérennisation de son financement.
Parlant pour l’organisme Les Amis des médias canadiens, Sarah Andrews a fait valoir que 78 % des Canadiens disent vouloir garder CBC/Radio-Canada et que même parmi les personnes s’identifiant comme des électeurs conservateurs, ce soutien est de 67 %. Quant au fait que les journalistes seraient en conflit d’intérêts, Mme Andrews a rappelé que la mandat de Radio-Canada et la Loi sur la radiodiffusion garantissent l'indépendance éditoriale de la société d’État. «CBC/Radio-Canada ne prend pas de directives du gouvernement ni du Parlement. Il faut reconnaître cette distance entre les élus et le radiodiffuseur public.»
«Populisme et désinformation»
Le bloquiste Martin Champoux l’a remerciée pour cette intervention, estimant qu’il est important «d'apporter cette précision sur cette espèce de populisme et de désinformation que les tenants de cette idée de définancer CBC/Radio-Canada véhiculent». Les députés des deux autres partis, libéraux et néo-démocrates, étaient également en désaccord avec la position de la Fédération des contribuables.
Le seul point avancé par la Fédération des contribuables qui a semblé faire l'unanimité portait sur les bonus offerts aux cadres, qui suscitent la désapprobation d'à peu près tout le monde.
Les audiences ont également été l’occasion pour deux organismes de défense des intérêts des anglo-québécois, Voice of English Québec, de Québec, et le Quebec Community Groups Network, de Montréal, de venir souligner avec force l’importance de la radio anglophone de CBC au Québec, seule source d’information pour tous les anglophones en dehors de Montréal. «Nous avons été témoins d’un déclin constant des ressources locales», a fait valoir Brigitte Wellans, directrice générale de Voice of English Québec. «Il est d'une importance critique que non seulement nous améliorions l'accès au contenu, mais que nous améliorions les ressources auxquelles CBC a accès. Nous entendons des choses comme définancer la CBC; au contraire, nous devons améliorer ou augmenter le financement auquel ils ont accès», a-t-elle insisté, soulignant que le diffuseur public canadien est l’un des moins bien financés parmi tous les diffuseurs publics à travers le monde.
Fondamental pour les minorités francophones
Parallèlement, la directrice de l’Alliance des producteurs francophones du Canada, Carol Ann Pilon, a livré le même genre de plaidoyer sur l’importance de Radio-Canada pour les francophones hors Québec. «Le rôle de notre diffuseur public national est absolument fondamental pour notre secteur et il l'est tout autant pour garantir l'épanouissement et le développement de la francophonie canadienne. (…) Les francophones vivant à Moncton, Toronto, Winnipeg, Victoria ou encore Whitehorse cherchent auprès de ces stations (locales de Radio-Canada) ce que les grands groupes de radiodiffusion privés n'arrivent pas à leur offrir, c'est-à-dire une programmation spécifique qui les cible directement en français.»
Pour elle, faire disparaître CBC et maintenir Radio-Canada est une impossibilité en dehors du Québec puisque les deux entités partagent de nombreuses ressources en interdépendance. «Envisager la disparition de CBC en région serait d'envisager la disparition de Radio-Canada en région», a-t-elle tranché.
Contrat social
De son côté, Annick Charrette, présidente de la Fédération nationale des communications et de la culture de la CSN, qui représente quelque 2800 personnes au sein de Radio-Canada, a rappelé certains fondements derrière l’existence du diffuseur public. «Radio-Canada appartient aux Canadiens. C'est un contrat social établi depuis presque 100 ans. La mission de Radio-Canada est de représenter l'essence et les valeurs du Canada à sa population, de lui garantir l'accès à de l'information de qualité sur l'ensemble de son territoire, de parvenir dans les foyers canadiens les plus isolés pour créer une fenêtre sur ce pays exceptionnel.»
Laisser Radio-Canada disparaître, a-t-elle averti, serait de priver d’immenses portions du territoire canadien d'information. «Remettre entièrement aux salles de nouvelles du (secteur) privé la responsabilité de couvrir tout le territoire canadien, c'est non seulement irréaliste, mais c'est aussi irresponsable, car les déserts d'information s'étendent partout au pays et Radio-Canada et CBC sont les seuls à pouvoir en stopper l'avancement.»
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne