L'héritage climatique du gouvernement de Justin Trudeau
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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Justin Trudeau a fait plus dans la lutte aux changements climatiques que tous ses prédécesseurs, mais parce qu’il a voulu ménager l’industrie des combustibles fossiles, il en a fait moins que ce qui est nécessaire pour assurer un avenir sécuritaire, selon plusieurs organisations environnementales.
Dans la foulée de l’annonce de la démission du premier ministre lundi, Caroline Brouillette, directrice exécutive du Réseau action climat Canada, a écrit, dans un communiqué, que «Justin Trudeau en a fait plus en matière de politiques climatiques que tout autre premier ministre canadien jusqu'à présent».
Selon la directrice de cette coalition de 160 organisations canadiennes, depuis l’élection du premier ministre libéral en 2015, «nous avons assisté à une révolution dans la manière dont nous nous attaquons aux changements climatiques au Canada».
Ainsi, a-t-elle ajouté, «nous sommes passés d'une approche fragmentée et volontaire à une approche où le gouvernement planifie de manière proactive, dans tous les départements et secteurs de l'économie, la réduction des émissions afin d'atteindre nos objectifs climatiques».
La directrice de Nature Québec, Alice-Anne Simard, partage ce point de vue.
«Dans les 10 dernières années, on a vu plus de réglementations en matière environnementale au fédéral que dans l'histoire du gouvernement», a-t-elle affirmé en entrevue avec La Presse Canadienne.
Selon Caroline Brouillette, le travail du gouvernement Trudeau a porté fruit, en partie, comme en témoigne la baisse des «émissions de GES de 2023 sont sous les niveaux prépandémiques».
La directrice du Réseau action climat a ainsi fait référence aux estimations préliminaires des émissions pour 2023, publiées par Ottawa le 19 décembre dernier et qui montrent que les émissions de GES seraient à leur plus bas niveau depuis 1997.
Selon ces estimations, le Canada, même s’il est loin de son objectif de réduire ses émissions de 40 à 45 % d’ici 2030 sous leur niveau de 2005, a réussi à les diminuer de 8,5 % en 2023.
Les bons coups pour l’environnement
Parmi les bons coups de Justin Trudeau au cours de la dernière décennie, Réseau action climat a notamment souligné l'adoption de la première législation climatique du Canada pour inscrire les objectifs à long terme dans la loi, les réglementations et les différents investissements pour réduire les émissions dans les secteurs de l'électricité, des transports, de l'industrie et de l'agriculture, et des progrès dans l'élimination des subventions aux énergies fossiles.
La tarification carbone, le règlement sur les émissions de méthane, le financement de mesures d’adaptation fondées sur la nature, le succès de la COP15 sur la biodiversité et les initiatives qui en sont ressorties, comme la protection de nouveaux territoires, sont d’autres exemples de réalisations importantes du gouvernement Trudeau, selon Alice-Anne Simard.
«Il a été élu en 2015, mais c’est à partir de 2019 que l’on voit le début des bons coups», alors «c’est une action climatique qui s’est faite sur le tard», a toutefois déploré, comme plusieurs environnementalistes, Charles-Édouard Têtu, analyste des politiques climatiques chez Équiterre.
Par conséquent, certains projets importants du gouvernement Trudeau pour lutter contre les changements climatiques, comme le plafond d’émissions à l'industrie pétrolière et gazière, risquent de mourir au feuilleton, a-t-il ajouté.
Les mauvais coups pour l’environnement
Pour le Réseau action climat et de nombreuses organisations, l'achat du pipeline Trans Mountain par le gouvernement fédéral en mai 2018 et l’approbation du projet pétrolier Bay du Nord, à Terre-Neuve-et-Labrador, illustrent l'incohérence entre l’intention de devenir leader en matière d’action climatique et la protection des intérêts du secteur pétrolier et gazier.
«Sous Justin Trudeau, nous avons vu qu'aucune approche climatique ne sera couronnée de succès sans démanteler l'emprise de l'industrie des énergies fossiles sur les politiques du Canada», a affirmé Caroline Brouillette.
Charles-Édouard Têtu est d’avis «qu’en 2050, on ne va pas nécessairement se souvenir de Justin Trudeau comme d'un champion du climat», mais plutôt comme d'un premier ministre «qui a jeté les bases de quelque chose, qui a défini un petit peu le carré de sable dans lequel on pouvait commencer à construire l’action climatique».
La porte-parole de l'Association québécoise des médecins pour l'environnement (AQME), Patricia Clermont, a pour sa part souligné que les «bons coups» du gouvernement Trudeau ont été «amoindris par la difficulté que ce gouvernement a eue à expliquer les politiques climatiques et leurs bénéfices».
Ainsi, a déploré Mme Clermont, «des adversaires ont pu tabler sur les craintes d’une partie de la population et faire passer les mesures climatiques pour des sacrifices».
L’opposition à la tarification carbone en est «le meilleur exemple», selon elle.
Le défi d'expliquer les bénéfices de l'action climatique
Selon un récent sondage de la firme Léger réalisé pour le compte d’Équiterre, 71 % des Canadiens affirment vouloir que leur prochain gouvernement fédéral, peu importe sa couleur, en fasse davantage en matière de lutte aux changements climatiques.
Ce coup de sonde a fait dire à l'analyste politique d'Équiterre Charles-Édouard Têtu que «si un futur gouvernement souhaite retirer des politiques climatiques», il aura «le fardeau de le justifier et d’expliquer à la population pourquoi on ne protège plus l’environnement».
Les prochaines élections «seront un moment charnière et le prochain gouvernement devra être plus ambitieux que jamais, sinon on se met vraiment la tête dans le sable et on va en payer le prix», a indiqué la directrice de Nature Québec, Alice-Anne Simard.
En vue des élections, «on espère que de plus en plus de gens vont poser des questions aux différents partis politiques», a pour sa part ajouté la porte-parole de l'Association québécoise des médecins pour l'environnement.
Patricia Clermont a expliqué qu’un des «gros défis» de son organisation au cours des prochains mois consistera à expliquer aux citoyens que «prendre soin de la nature et de la santé, ça apporte aussi des bénéfices économiques importants».
Stéphane Blais, La Presse Canadienne