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Des hommes influenceurs démantèlent les messages de la manosphère

durée 08h11
28 décembre 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

6 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

Alors que la rhétorique misogyne alimentée par des influenceurs comme Andrew Tate s’infiltre de plus en plus dans les conversations quotidiennes en ligne et hors ligne, une petite cohorte d’hommes se constitue une base d’abonnés sur les réseaux sociaux en démantelant les messages de la soi-disant manosphère, un mème et une vidéo à la fois.

Neil Shyminsky, professeur d’anglais dans un collège de Sudbury, en Ontario, qui se fait appeler @professorneil sur TikTok, décortique des vidéos populaires et des extraits de balados plusieurs fois par semaine pour ses centaines de milliers d’abonnés sur diverses plateformes de médias sociaux.

Dans l'une de ses vidéos, on voit un jeune homme aux cheveux rasés qui s'appuie sur un plan de travail immaculé dans une cuisine blanche et qui regarde directement la caméra, tandis qu'il livre ce qu'il présente comme le secret du succès amoureux pour les hommes hétéros.

«Trouver une fille qui fera tout ce que vous voulez qu'elle fasse», que ce soit rester à la maison ou s'abstenir de publier certaines choses en ligne, est «facile», dit l'homme avec assurance. Offrez-lui simplement une sécurité financière et ne soyez pas laid, explique-t-il.

«Alerte au divulgâcheur : ce n'est pas ça en réalité», intervient M. Shyminsky, dans sa vidéo réfutant la publication du jeune homme en question sur les réseaux sociaux.

Entre des extraits de la vidéo originale, M. Shyminsky, portant un chandail en coton ouaté sombre et des lunettes rectangulaires, se trouvant devant des bibliothèques chargées, récapitule les recherches sur ce que les femmes souhaitent dans les relations amoureuses avant de conclure que ce que l'homme décrit n'est pas, en fait, une petite amie.

«Elle dépend financièrement de vous et doit être réceptive à toutes vos directives», dit-il. «Félicitations ! Vous avez une employée – et un milieu de travail terriblement toxique.»

La vidéo de M. Shyminsky, publiée il y a environ un mois, a attiré plus de 10 000 mentions «J’aime» sur TikTok ainsi que des tonnes de commentaires sur cette plateforme et sur Instagram, en grande partie de la part de personnes dénonçant ou se moquant du conseil initial.

Il y a un appétit pour le contenu qui contrecarre la montée des voix «qui poussent vers cette version très restrictive et franchement toxique de la virilité», a affirmé M. Shyminsky, dans une récente entrevue.

En même temps, «un certain vide» demeure lorsqu’il s’agit de proposer des modèles alternatifs de masculinité, «c’est pourquoi cela semblait si important», a-t-il indiqué.

«Je ressens un impératif moral de faire quelque chose», a affirmé M. Shyminsky, qui a rejoint TikTok il y a trois ans pour partager le matériel excédentaire d’un cours qu’il a donné sur les romans graphiques avant de changer lentement de cap.

La plupart des vidéos que M. Shyminsky critique lui sont envoyées par ses abonnés – dont environ 60 à 90 % sont des femmes – selon la plateforme, a-t-il précisé.

Parfois, son travail parvient aux hommes et aux garçons par l’intermédiaire des femmes de leur vie, et M. Shyminsky a plaisanté en disant qu’il pouvait dire quand une vidéo circulait de cette façon grâce à la soudaine augmentation des messages de colère des hommes.

Mais il y a aussi des messages de gratitude, a-t-il dit.

«J'ai reçu quelques remerciements pour avoir démontré que c'est quelque chose que les hommes remarquent et dont ils se soucient réellement», a-t-il affirmé.

«Et puis, de nombreux hommes diront que quelque chose dans une ou plusieurs de mes vidéos qu'ils ont vues les a aidés à prendre conscience de quelque chose dans leur propre comportement dont ils n'avaient pas reconnu qu'il était nocif ou toxique.»

Les élections américaines et le contenu misogyne

Ces derniers mois, M. Shyminsky a abordé des questions telles que la division du travail au sein du foyer, les fêtes de révélation du sexe et les messages sexistes autour de l'élection américaine du mois dernier.

L'élection qui a cimenté le retour de Donald Trump et le discours qui l'entoure montrent qu'«il n'a jamais été aussi important qu'aujourd'hui d'avoir ces conversations», a-t-il soutenu.

Les contenus misogynes, notamment les appels à révoquer le droit de vote des femmes, ont augmenté en ligne à l'approche de l'élection, selon l'Institute for Strategic Dialogue, un groupe d'organisations indépendantes à but non lucratif axées sur la lutte contre l'extrémisme et la désinformation.

L'utilisation du slogan «ton corps, mon choix», popularisé en partie par l'animateur de balado nationaliste blanc Nick Fuentes, a augmenté de 4600 % en 24 heures dans les jours qui ont suivi le vote du 5 novembre, a indiqué le groupe, même si une partie de cette hausse est due au fait que des personnes se sont exprimées contre ce slogan.

L'expression semble également s'être répandue au-delà de la sphère numérique, des parents et des filles partageant des récits de harcèlement hors ligne, notamment des incidents où elle a été scandée par des garçons dans des écoles, a rapporté le groupe.

La vulnérabilité de garçons et d'hommes exploitée

Les éducateurs ont également sonné l'alarme ces dernières années concernant l'emprise d'Andrew Tate sur les jeunes garçons. L'ancien kickboxeur devenu influenceur, qui fait face à des accusations liées à la traite d'êtres humains et à d'autres délits en Roumanie, compte des millions d'abonnés sur le réseau social X.

Bien qu'il soit banni de la plupart des autres grandes plateformes de médias sociaux, il reste une figure centrale de la manosphère, un assortiment de communautés en ligne qui vont de l'antiféminisme à une rhétorique plus ouvertement violente ciblant les femmes, y compris la sous-culture «incel», ou du célibat involontaire.

Historiquement, ces espaces ont été dominés et définis par des hommes comme Andrew Tate qui «exploitent en fait les vulnérabilités des autres garçons et hommes», a expliqué Michael Kehler, professeur de recherche en études de masculinité en éducation à la Werklund School of Education de l'Université de Calgary.

Les proclamations qui renforcent un type spécifique de masculinité traditionnelle peuvent plaire à certains hommes et garçons «qui sentent qu'il existe de multiples signaux et de multiples messages sur les masculinités, au pluriel», a-t-il dit.

Parallèlement, M. Shyminsky et ses pairs offrent non seulement un regard plus critique sur les masculinités, mais «ils le font avec un niveau de perspicacité et d'une manière qui est très invitante et qui ne rabaisse pas leur public», a-t-il déclaré.

Répondre aux questions sans juger

Cyzor, un autre créateur de contenu comptant des centaines de milliers d'abonnés sur plusieurs plateformes, a affirmé qu'il s'efforce de répondre aux questions envoyées par les jeunes hommes, sachant qu'elles sont probablement basées sur des idées fausses propagées par la manosphère.

Vétéran de la marine américaine vivant aujourd'hui à Los Angeles et travaillant comme photographe de portraits intimes, Cyzor – qui publie sous le nom de @cyzorgg et qui a demandé à ne pas être identifié par son nom pour protéger sa vie privée – a déclaré qu'il s'était rendu compte que son travail et ses amitiés étroites avec les femmes lui donnaient des informations auxquelles d'autres personnes n'avaient peut-être pas accès.

«Parce que beaucoup d'hommes n'écoutent pas ce que les femmes ont à dire ou n'écoutent pas les choses à moins que ce ne soit dit par un homme, beaucoup d'informations ne correspondent tout simplement pas», a-t-il expliqué, dans une récente entrevue.

«Et donc je me dis, eh bien, je sais aussi comment expliquer ces choses, et je suis aussi un homme, donc peut-être qu'ils seraient plus enclins à m'écouter.»

L'humour aide aussi à faire passer le message, car il est plus difficile de contredire une blague, a-t-il dit

De nombreux hommes qui créent ce genre de contenu se sont croisés en ligne et collaborent ou font parfois référence au travail des autres, a-t-il souligné.

«Nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir incarner cette différence, ou à essayer de montrer à quoi cette différence pourrait ressembler et à offrir aux hommes une autre façon de penser», a-t-il expliqué.

En plus d'enseigner et de réaliser des vidéos, M. Shyminsky travaille également sur un livre destiné aux jeunes hommes.

Le format devrait être similaire à «12 règles pour une vie: un antidote au chaos», le livre de développement personnel écrit par le psychologue et commentateur canadien controversé Jordan Peterson, dont M. Shyminsky a critiqué à plusieurs reprises le message.

«Nous ne pouvons jamais tenir pour acquis que les jeunes générations le comprendront et que l'information ou le message leur parviendra naturellement», a dit M. Shyminsky, qui a deux filles.

«Quoi que nous fassions, nous avons besoin d'un plus grand nombre de personnes pour le faire. Je pense que les prochaines années nous montreront dans une large mesure si nous avons une chance de redresser la barre.»

— Avec des informations de l'Associated Press

Paola Loriggio, La Presse Canadienne

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