Comment l'agrivoltaïque associe production alimentaire et énergie verte
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Par La Presse Canadienne, 2024
CALGARY — Jason Bradley a passé 20 ans de sa carrière comme directeur de ranch dans une exploitation agricole de 50 000 acres dédiée au pâturage, dans le centre-ouest de l'Alberta. Il comprend donc pourquoi les gens réagissent avec scepticisme à l'idée d'élever un troupeau de bovins dans une ferme solaire en activité.
«La première chose que les gens pensent, c'est : 'On ne peut pas mettre du bétail dans une ferme solaire. Ils vont juste se frotter aux panneaux et les détruire'», raconte M. Bradley.
Mais en tant que PDG de la société Sun Cycle Farms, établie à Calgary, il pense que les sceptiques ont déjà eu tort. Cet automne, Sun Cycle a mené un projet pilote qui consistait à faire paître du bétail dans une ferme solaire connectée au réseau dans le sud de l'Alberta, ce qui, selon lui, prouve que la production animale et les énergies renouvelables peuvent coexister avec succès.
«Ce n'était pas seulement pour nous le prouver, je savais que cela pouvait être fait dans une installation solaire existante», soutient Jason Bradley. «Mais nous avons dû prouver au propriétaire de l'actif, à la compagnie d'assurance, et même aux investisseurs qui s'intéressent à cela, que cela fait partie de la solution.»
Sun Cycle Farms est une entreprise d'agrivoltaïque, qui fait partie d'un domaine en pleine expansion visant à combiner la production d'énergie solaire avec des activités agricoles. Partout en Amérique du Nord, les propriétaires de fermes solaires déploient de plus en plus de moutons et même de porcs sur leurs sites pour réduire les mauvaises herbes et réduire le besoin de tondre autour des panneaux.
Les chercheurs du monde entier étudient également les types de cultures qui peuvent être cultivées dans et autour des panneaux solaires.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, de nombreuses cultures se portent mieux lorsqu'elles sont ombragées par un panneau solaire massif que sous la lumière directe du soleil, pointe Joshua Pearce, expert en énergie solaire à l'Université Western.
«La plupart des cultures que nous avons cultivées en extérieur reçoivent normalement un peu trop de soleil», explique M. Pearce. «Sous le panneau solaire, ou à côté, on a presque une sorte de micro-environnement protégé. Il n’y a pas autant de vent, on n’a pas à s’inquiéter de la grêle, cela aide même à préserver un peu plus l’eau dans le sol.»
Les problèmes d’utilisation des terres étaient moins pressants lorsque l’énergie solaire en était à ses balbutiements il y a une vingtaine d’années, car l’industrie naissante était très petite.
Mais le déploiement rapide de l’énergie renouvelable ces dernières années signifie que l’empreinte physique de l’énergie solaire ne peut plus être ignorée. Selon l’Association canadienne des énergies renouvelables, il existe 206 grands projets d’énergie solaire produisant de l’électricité à travers le pays, dont certains occupent des milliers d’acres de terres.
En raison de la croissance spectaculaire de l’industrie, certains résidents ruraux sont frustrés par la rapidité avec laquelle les paysages qui les entourent ont changé, ainsi que par l’activité qui se déroule sur le terrain.
«Si vous vivez dans une communauté rurale qui est fière de cultiver et de produire à partir de la terre et que, soudainement, de gros bailleurs de fonds, extérieurs à votre communauté, achètent d'énormes étendues de terre et les transforment en parcs solaires, vous pouvez devenir assez agité et inquiet», note M. Pearce.
«Une arme à double tranchant»
En Alberta, qui a connu la croissance la plus spectaculaire de l'énergie solaire de tout le Canada ces dernières années, le gouvernement provincial a récemment introduit de nouvelles réglementations interdisant la construction d'installations d'énergie renouvelable sur des terres agricoles de premier choix, à moins que les promoteurs puissent prouver que leurs projets peuvent coexister avec le bétail et les cultures.
«L'énergie renouvelable est une arme à double tranchant, car nous avons besoin de production d'énergie dans notre province, mais nous devons également maintenir l'intégrité des bonnes terres agricoles», explique Jeff Shaw, directeur administratif de la Ville de Cardston, qui s'associe actuellement à Sun Cycle Farms sur un projet de démonstration d'agrivoltaïque situé à la limite de la municipalité du sud de l'Alberta.
«Nous (la Ville) aimerions être associés à une solution pour cela», ajoute-t-il.
La réussite de l'agrivoltaïque exige souvent une réflexion flexible. Les chèvres, par exemple, ont été testées dans des fermes solaires, mais n’ont pas eu beaucoup de succès en raison de leur tendance à ronger les fils électriques.
Dans son projet de démonstration sur le bétail, Sun Cycle a utilisé des clôtures électriques pour entraîner le bétail à rester loin des panneaux solaires. L’entreprise étudie également l’utilisation de colliers alimentés par l’énergie solaire — qui donneraient aux vaches un petit «ping» pour les dissuader si elles s’approchent trop — ainsi que l’utilisation de tracteurs robotisés pour éliminer en toute sécurité les mauvaises herbes et couper le foin autour du site sans endommager les panneaux.
Bien que des recherches supplémentaires devront être menées avant que la coexistence des vaches et des panneaux solaires ne devienne monnaie courante, M. Pearce affirme que ce type de projets est essentiel pour assurer la durabilité à long terme du secteur des énergies renouvelables et la productivité continue du secteur agricole.
«Avec l’agrivoltaïque, tout le monde y gagne: le propriétaire foncier, les agriculteurs, les développeurs solaires, la communauté, le réseau électrique. C’est juste une bonne idée», assure-t-il, ajoutant que ce n’est qu’une question de temps avant que le pâturage du bétail au milieu des installations d’énergie renouvelable ne devienne monnaie courante. «Et puis, on aura des hamburgers solaires. Ce sera très agréable.»
Amanda Stephenson, La Presse Canadienne