Changements climatiques: des actuaires prévoient une catastrophe en cas d'inaction
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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — L’aveuglement des pouvoirs publics face aux changements climatiques et leur refus de poser immédiatement des gestes forts pourraient entraîner une perte de 50 % du PIB mondial global entre 2070 et 2090.
Cette évaluation provient non pas de groupes militants, mais bien de chercheurs de l’Institut et Faculté des actuaires de l’Université Exeter, en Angleterre. Ce sont les actuaires, experts du risque et de l’incertitude, qui ont développé les techniques de gestion du risque qui sous-tendent le fonctionnement du marché global de 55 000 milliards $ des fonds de pension et de 8000 milliards $ du marché global de l’assurance.
Dans leur étude de 40 pages publiée jeudi, intitulée «Solvabilité planétaire – Trouver notre équilibre avec la nature, Gestion globale du risque pour la prospérité humaine», les chercheurs soulignent que les populations subissent déjà l’impact de chocs de systèmes alimentaires, de l’insécurité d’approvisionnement en eau, du stress de la chaleur anormale et des maladies infectieuses.
4 milliards de morts
Un inquiétant tableau fait état des différents niveaux de risque selon l’augmentation prévisible des températures. Il montre que la situation la plus extrême, mais tout de même plausible advenant une absence de politiques robustes de lutte contre les changements climatiques, soit une augmentation globale de la température de 3 degrés Celsius ou plus d’ici 2050, anéantirait non seulement la moitié du PIB global, mais entraînerait aussi plus de 4 milliards de décès, une cascade de points de bascule climatique, une désarticulation de nombreux écosystèmes critiques et une fracturation mondiale des systèmes socio-politiques, notamment
À l’autre bout du spectre de cette évaluation du risque, soit une augmentation de température globale limitée à 1,5 degré Celsius d’ici 2050 – un niveau qui a été dépassé pour atteindre 1,55 en 2024, mais qui devrait redescendre légèrement à 1,45 en 2025 selon les prévisions – serait tout de même assez catastrophique. Les actuaires estiment que le PIB global reculerait de plus de 5 % entraînant des pertes 5000 milliards $, 400 millions de morts, de nombreuses extinctions d’espèces, des crises globales régulières dans les domaines de l’alimentation et de l’eau et une certaine fragmentation socio-politique dans les États où l’adaptation a été limitée.
Menacer la nature menace l'humain
«Vous ne pouvez pas avoir une économie sans société et la société a besoin d’un endroit où vivre, affirme l’auteur principal, Sandy Trust. La nature est notre fondation, fournissant nourriture, eau et air de même que les matières premières et l’énergie qui alimentent notre économie. Une menace à cette fondation représente un risque pour la prospérité humaine dans le futur qui nous oblige à prendre des mesures pour l’éviter.»
Selon les auteurs, les méthodologies largement utilisées mais sévèrement déficientes pour évaluer l’impact économique des changements climatiques minimisent dangereusement cet impact et ne tiennent pas compte d’une multitude de facteurs, contrairement à l’évaluation basée sur le risque effectuée par le groupe d’actuaires.
Ceux-ci invoquent l’urgence d’agir alors que la planète est déjà aux prises avec des incendies sans précédent, des vagues de chaleur, des tempêtes violentes et des sécheresses ou des inondations, autant de phénomènes qui ne pourront que s’aggraver avec une hausse continue du mercure.
Basculer vers le point de non-retour
Ils soulèvent des risques de déclenchement de points de bascule entraînant un effet domino de catastrophes et menant la Terre à un point de non-retour après lequel il pourrait être impossible de stabiliser le climat.
Ils font valoir que l’impact des changements climatiques a été gravement sous-estimé alors que l’on assiste présentement à des événements qui surviennent à des températures plus basses que ce que l’on avait préalablement estimé. «La sévérité et la fréquence des événements météorologiques extrêmes sont sans précédent et vont bien au-delà des projections modélisées. Il s’agit désormais d’une question de sécurité humaine avec les populations impactées par les feux, les inondations, la détérioration de la chaîne alimentaire, l’insécurité par rapport à l’eau potable», écrivent-ils.
Un portrait cauchemardesque
Si le réchauffement climatique n’est pas contré, «une mortalité massive, une immigration involontaire massive, des contractions économiques sévères et des conflits deviendront plus plausibles», peut-on lire dans le rapport. Ultimement, dit-on, «notre capacité d’influer sur le climat pourrait s’éroder progressivement ou être déraillée alors que les ressources seront consacrées à l’obligation de répondre à des événements physiques et socio-politiques de plus en plus chaotiques».
À moins d’une réduction majeure des émissions de gaz à effet de serre (GES), le réchauffement va se poursuivre alors qu’il a déjà atteint le plafond fixé par l’Accord de Paris. «Les objectifs de l’Accord de Paris n’ont pas été informés par une évaluation réaliste des risques et acceptent implicitement le risque très élevé de franchir des points de bascule», se désolent les chercheurs.
Mesures urgentes
Selon eux, certaines mesures doivent être mises en place dès maintenant. Il faut d’abord, disent-ils, instaurer des évaluations de solvabilité planétaire indépendantes annuelles qui dépendent directement du Conseil de sécurité des Nations unies afin d’établir et mettre en vigueur des principes de résilience basés sur une gestion réaliste et efficace du risque global.
Ils offrent plusieurs autres solutions qui, toutefois, dépendront de la compréhension qu’ont les décideurs politiques des changements climatiques et des risques beaucoup plus graves qu’ils représentent que ceux que l’on imaginait jusqu’ici. Une de leurs propositions porte d’ailleurs sur l’éducation des décideurs politiques, ce qui en dit long sur le chemin que leur message devra parcourir.
Ils les invitent notamment à explorer les politiques requises pour: accélérer la décarbonation en réduisant les émissions de GES à zéro le plus rapidement possible; retirer les GES de l’atmosphère; réparer et restaurer les portions endommagées des écosystèmes; explorer toute action qui pourrait être requise pour ralentir le réchauffement climatique; et bâtir la résilience et l’adaptation face aux impacts climatiques inévitables qui s’aggravent.
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne