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Bien comprendre l'impact des entreprises sur la biodiversité

durée 10h00
1 décembre 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — Le déclin de la biodiversité menace l’économie et, deux ans après la COP15 à Montréal, les engagements du secteur privé pour contrer l’effondrement des écosystèmes demeurent insuffisants. Cette timidité s’explique en partie par une incompréhension des impacts des activités économiques sur la biodiversité, selon plusieurs participants du Sommet Nature et Entreprises, qui se déroulait à Montréal.

L’activité humaine a déjà «altéré sévèrement» 75 % de la surface terrestre du globe et à moins que les entreprises n’opèrent des changements importants dans leur façon d’exploiter les ressources de la Terre, un million d’espèces animales et végétales pourraient disparaître dans les prochaines décennies selon les données du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE).

Mais la dégradation des terres ne met pas seulement en péril la santé des humains et des autres espèces, elle menace également la santé de l’économie.

Par exemple, 50% du PIB dépend d’une biodiversité performante, selon un rapport du Forum économique mondial publié en janvier 2020.

Le déclin de la biodiversité est extrêmement coûteux, pourtant, trop peu d’entreprises cherchent à comprendre comment elles contribuent à ce déclin, selon Benoit Chéron, le directeur exécutif des enjeux ESG à la firme KPMG, qui participait au Sommet Nature et Entreprises, organisé par Atelier pour la biodiversité mardi.

«On se rend compte que, sur les conseils d’administration, les gens ne sont pas suffisamment formés aux problématiques» et «l’impact sur la biodiversité» est peu pris en compte, a fait remarquer Benoit Chéron aux centaines de participants du sommet.

Il a notamment cité une étude de la World Benchmarking Alliance (WBA), qui s’est intéressée aux pratiques de près de 400 entreprises, dont des sociétés canadiennes.

Cette étude, présentée officiellement à la COP15 à Montréal en 2022, révélait que «seulement 5 % des 389 entreprises analysées avaient mené une évaluation basée sur des connaissances scientifiques» pour comprendre «l’impact de leurs activités sur la nature et la biodiversité».

Dans l’ombre de la crise climatique

L’étude de la World Benchmarking Alliance met également en lumière ce que plusieurs participants au Sommet Nature et Entreprises ont observé, c’est-à-dire que la crise de la biodiversité est souvent dans l’ombre de la crise climatique, même si les deux sont interreliées.

«Malgré l’absence d’action de la part des entreprises en faveur de la nature, 50 % des entreprises évaluées prennent déjà des mesures pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre», pourtant, «le “net zéro” ne sera pas possible sans la protection des forêts, des sources d’eau, de la biodiversité et de la qualité de l’air», soulignent les auteurs de l’étude.

L’exemple de la minière canadienne IAMGOLD

Si certaines grandes entreprises peinent à reconnaître l'importance de la biodiversité, d'autres n’hésitent pas à se donner des cibles ambitieuses pour réduire leur impact sur les écosystèmes, même si souvent, elles ignorent ce qu’il faut accomplir pour atteindre ces cibles.

Par exemple, en 2021, la minière canadienne IAMGOLD s'est engagée à avoir «une incidence nette positive sur la biodiversité» d’ici 2050.

Selon les mots utilisés par l’entreprise, cela signifie qu’elle s’engageait «à créer plus d'habitats qu'elle en perturbe».

C’est le principe de la compensation: une entreprise qui détruit un habitat comme un ruisseau aménagera par exemple une frayère pour stimuler la reproduction de poissons.

Peu de temps après son engagement, IAMGOLD s’est rendu compte que l’empreinte de ses trois mines sur la biodiversité était plus complexe que prévu à estimer.

«Quand on parle de gaz à effet de serre, on parle de tonnes équivalentes de CO2, on sait comment calculer ça, mais quand on parle de biodiversité, on ne sait pas c’est quoi l’unité de mesure», a expliqué Steve Pelletier, directeur du développement durable de la minière, qui a actuellement deux mines en activité au Canada et une en Afrique de l’Ouest.

«Si on veut calculer l’impact sur la nature d’une mine qui existe depuis 40 ans, comment on fait? Comment savoir dans quel état était le lieu de la mine il y a 40 ans?», a-t-il indiqué.

Également, a ajouté Steve Pelletier en s’adressant aux participants au sommet, «compenser un milieu naturel au Burkina Faso, ce n’est pas la même chose qu’au Canada, la végétation n’est pas la même, les espèces ne sont pas les mêmes».

«Alors c’est le défi sur lequel on travaille avec WSP. On veut trouver une façon de mesurer nos gains pour prouver qu’on fait des gains en termes de biodiversité», a ajouté le directeur de la minière.

WSP est la firme de génie qui accompagne IAMGOLD dans sa démarche pour diminuer son impact sur la nature.

La conseillère principale de WSP, Julie Pizzutto, a expliqué qu’au début de la relation entre les deux entreprises, un constat s’est rapidement imposé : «la cible de la minière d’avoir une incidence nette positive sur la biodiversité d’ici 2050» était «irréaliste».

WSP a donc proposé à IAMGOLD de prendre du recul, et il a été convenu de définir «des engagements plus réalistes» axés, par exemple, «sur la restauration d’écosystèmes».

Pour déterminer des cibles de restauration de la biodiversité réalistes, et éventuellement les atteindre, il faut développer des «indicateurs de biodiversité» précis et fiables.

Les indicateurs de biodiversité servent à évaluer l’impact d’un projet sur la perte d’habitat, la connectivité écologique, la pollution, etc.

En d’autres mots, les indicateurs servent à mesure «l’empreinte biodiversité» d'un projet.

Il y a «un engouement important», a expliqué Julie Pizzutto, depuis l’accord Montréal-Kunming sur la biodiversité (COP15), pour développer des indicateurs de biodiversité précis.

Des indicateurs de biodiversité québécois

Au Québec, la firme Habitat a lancé, il y a quelques semaines, un outil appelé NatureInvest, qui permet d’évaluer les effets des investissements financiers sur la biodiversité et ainsi aider les bailleurs de fonds à faire des investissements durables.

Dans un autre projet, la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec), Fondaction, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) et le réseau Biodiversité Québec ont accepté de travailler ensemble sur la création d’indicateurs de biodiversité spécifiques au Québec, également pour guider les institutions financières dans leurs décisions.

La méthodologie développée par la SNAP permet de «mesurer neuf éléments clés de la biodiversité qui vont lever des drapeaux verts, orange ou rouges», a expliqué Diego Creimer, le directeur, Finance et Biodiversité chez SNAP Québec à La Presse Canadienne.

L’objectif est de permettre aux bailleurs de fonds, aux institutions financières, d’avoir un «cadre rigoureux» pour «s’améliorer» et «arriver à identifier les projets qui sont les moins controversés» et les moins nuisibles.

«On est dans un monde très dangereux, dans un monde de changement climatique et dans un monde d'effondrement de la biodiversité», alors les investisseurs «ont le droit de connaître les impacts de leurs investissements sur la nature», a expliqué Diego Creimer.

«On est loin de la coupe aux lèvres, l’effondrement de la biodiversité se produit à un rythme accéléré. Mais la réglementation viendra aussi à un rythme accéléré, alors il y a un risque, pour les entreprises, à ne pas être prêtes à ce qui sera un jour obligatoire», a avancé Diego Creimer.

Dans le monde, près de 7000 milliards de dollars sont investis chaque année par des entreprises et des gouvernements, dans des projets ou des activités qui ont des effets nocifs directs sur la biodiversité, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).

Afin de renverser le déclin de la biodiversité, il faut, selon les objectifs 18 et 19 de l’accord Kunming-Montréal, rediriger une partie importante de ces flux financiers dans des projets neutres ou positifs pour l’environnement.

Stéphane Blais, La Presse Canadienne