Aux portes de l'opposition officielle, Blanchet prône la modestie
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Par La Presse Canadienne, 2024
OTTAWA — Confronté à la possibilité bien réelle que le Bloc québécois forme l'opposition officielle à Ottawa, son chef, Yves-François Blanchet, prône «une certaine modestie», mais juge que ce serait néanmoins «spectaculaire».
«Je refuse obstinément d'envisager l'élection en termes d'orgueil ou de trophée ou de prétendre s'inscrire dans l'histoire», a-t-il déclaré en entrevue de fin d'année avec La Presse Canadienne.
M. Blanchet a expliqué que le Bloc a une offre politique à faire et qu'«on doit mériter la confiance» de la population. «Les Québécois nous donneront un mandat, puis on va s'en acquitter de façon responsable en se répétant toujours, j'espère, qu’il faut vivre ça avec modestie», a-t-il poursuivi.
Les plus récentes projections de l'agrégateur de sondages Canada338 annoncent presque l'effondrement des libéraux advenant que des élections soient imminentes.
Les conservateurs de Pierre Poilievre obtiendraient une écrasante majorité avec 232 sièges, les bloquistes suivraient – loin derrière – avec 45 députés. Les libéraux en auraient 39, les néodémocrates 25 et les verts deux.
Dans un tel scénario, M. Blanchet, aux commandes d'un parti indépendantiste qui met de l'avant les intérêts du Québec, deviendrait le chef de l'opposition officielle ou, formellement, de «la loyale opposition de Sa Majesté». Il obtiendrait aussi les clés d'une résidence officielle à Ottawa, Stornaway.
«Si ça arrive, je peux seulement vous dire que nous, on respecte les institutions (...), tout en ayant déjà dit que le Sénat devrait être aboli, que la monarchie au Canada devrait être abolie, mais on n'est pas là pour casser les jouets», a-t-il assuré.
M. Blanchet a affirmé que son parti se comporterait avec «une attitude positive et constructive» tout en réitérant que les Québécois devraient choisir la souveraineté.
«On peut s'attendre, donc, à ce que, lorsqu’une question touche l'ensemble du Canada, dont le Québec, on fait notre travail. Si une question touche juste le Québec, ou presque juste le Québec, on est exactement dans notre fonds de commerce. Et si une question touche seulement ailleurs au Canada, il se pourrait qu'on soit davantage discret», a-t-il résumé.
Quoi qu'il en soit, «oui, évidemment», le Bloc continuera de ne s'exprimer «qu'en français» à la Chambre des communes.
Quel est son message au Canada anglais? «Les gens n'ont pas à nous craindre», a-t-il dit. Les positions bloquistes, par exemple sur le gaz et le pétrole, sont bien connues et «on ne va pas sortir de lapin idéologique de notre chapeau».
Aussi, le chef bloquiste note que, «souvent», ce qui est «bon» pour le Québec l'est aussi «pour le Canada».
Il cite en exemple ses grands combats de l'automne: l'augmentation de la pension pour les aînés de 65 à 74 ans – qui recueillait 79% d'appuis au pays dans un sondage Nanos –, la protection de la gestion de l'offre dans les traités commerciaux, et le retrait de ce qu'il qualifie d'«exception religieuse» en matière de discours haineux dans le Code criminel.
«La pire menace»
Que choisirait M. Blanchet entre une députation bloquiste de taille moyenne, mais qui détient la balance du pouvoir, ou une grande députation bloquiste dans un parlement majoritaire?
«C'est une question piège intéressante», rigole-t-il. Selon lui, le Bloc, qui veut néanmoins faire élire le maximum de députés, peut tirer son épingle du jeu dans les deux cas.
D'une part, M. Blanchet estime que la balance du pouvoir permettrait de «forcer des enjeux», malgré qu'il en ait constaté les limites dans les dernières années. D'autre part, il juge que «l'opposition officielle est la pire menace sur un gouvernement», puisqu'il retombera quelques années plus tard en campagne électorale.
«Une très forte délégation du Bloc québécois oblige un gouvernement, n'importe lequel, à respecter ce que veut le Québec, insiste-t-il. Et la preuve, on l’a devant nous: le gouvernement de Justin Trudeau n'a pas respecté le Québec et il se peut qu'il se retrouve avec un nombre historiquement bas de sièges au Québec à la prochaine élection. Les Québécois leur font payer le prix.»
Un scénario où le Bloc forme l'opposition officielle ne s'est produit qu'une fois dans l'histoire canadienne, soit en 1993, sous Lucien Bouchard, nouvellement chef bloquiste après avoir claqué la porte du Parti progressiste-conservateur de Brian Mulroney.
Les troupes bloquistes, qui en étaient à leur première élection générale, avaient remporté 54 sièges, terminant deuxièmes derrière les libéraux de Jean Chrétien, qui en avaient raflé 177. La défaite avait été cuisante pour les conservateurs qui formaient un gouvernement majoritaire: ils n'avaient fait élire que deux députés, arrivant après le Parti réformiste et le Nouveau Parti démocratique.
Aucune exception
Aujourd'hui, le temps du gouvernement minoritaire de Justin Trudeau semble compté alors que le NPD a annoncé le 20 décembre qu'il tentera lui aussi de provoquer des élections à la première occasion.
M. Blanchet, qui avait perdu confiance dans le gouvernement avec l'échéance de son ultimatum à l'automne, confirme que «oui», il n'y aura aucune exception lors des prochains votes de confiance et que son parti votera de sorte à faire tomber les libéraux quoi qu'il advienne.
Ainsi, bien que ça soit «une tentation évidente», il rejette l'idée de faire survivre le gouvernement quelques semaines dans l'espoir que son projet de loi C-282 sur la gestion de l'offre auquel il tient tant soit adopté sans modifications au Sénat, ce qui pourrait se faire à la reprise des travaux parlementaires.
La tenue d'élections, a-t-il noté, ratisse bien plus que le seul enjeu de la gestion de l'offre. «C'est l'ensemble des relations commerciales, l'ensemble de l'économie, l'ensemble des relations internationales, l'ensemble du traitement qu'on fait des plus démunis, le logement, l'itinérance.»
Quand il regarde l'année qui se termine, M. Blanchet ne regrette pas d'avoir permis aux conservateurs de paralyser tout l'automne les travaux de la Chambre des communes. Débloquer le Parlement sans que les conditions du Bloc ne soient remplies l'aurait rendu «aussi faible» que le NPD, a-t-il dit.
«Si on veut être respectés, il faut agir en conséquence. Le gouvernement n'a pas mérité notre aide, a-t-il dit. Le gouvernement a passé l'automne à nous dire privément qu'il voulait négocier sans jamais poser de gestes le moindrement sérieux pour une négociation.»
S'il y a bien quelque chose qu'il ferait différemment c'est d'«être plus patient». Les politiciens, croit-il, doivent «mieux expliquer» leur réflexion plutôt que «d'essayer d'avoir la ligne assassine du jour».
«Notre travail ne veut rien dire si les gens ne nous comprennent pas», a-t-il lâché.
Michel Saba, La Presse Canadienne